jeudi 1 septembre 2016

Le monsieur qui a des chevaux.

Le monsieur qui a des chevaux.


Le monsieur ou la dame qui a chevaux et voitures ne s'en sert jamais ou que très rarement. Il a pour principe que les chevaux sont des objets de luxe qu'il ne faut pas exposer à la poussière et que les voitures sont des bibelots fragiles, destinés au musée de Cluny, comme les carrosses de Louis XIV.
C'est tout au plus si le monsieur qui a voitures et chevaux consent à en user pour aller en promenade. Encore n'est-ce que pour faire admirer ses équipages par ses amis et connaissances qui vont au Bois. Dans ce cas, les chevaux pur sang vont au pas, tout au plus au petit trot et rentrent après deux heures d'une courte excursion hygiénique.
Le monsieur qui a voitures et chevaux prend une voiture à son cercle pour aller à travers Paris. Quand il fait un voyage, il envoie chercher un petit omnibus de chemin de fer. Quand il va au théâtre, il a recours à un fiacre, à moins qu'il ne s'agisse de l'Opéra ou de l'Opéra-Comique le samedi.
Quand le monsieur qui a chevaux et voitures tente de s'en servir, le cocher s'y oppose formellement. Selon les occasions, le cheval a toussé ou il a mal à la jambe, ou il ne tient pas le pavé. Tantôt c'est la voiture dont monsieur a besoin qui est chez le carrossier pour une réparation urgente. Si monsieur est pressé et ordonne qu'on attelle, c'est si long, si long que monsieur s'impatiente et finit par envoyer chercher un fiacre.




Une bonne écurie parisienne, avec sa remise pour quatre voitures, coûte au minimum trente mille francs. En supprimant les mois où l'on est à la mer, à la chasse et dans le Midi, il appert qu'on ne fait pas atteler plus de dix fois par mois, en moyenne, soit cent vingt jours par an: ce qui met la course à deux cent cinquante francs, sans compter le pourboire.
Les écuries et les remises ne sont que des produits de la vanité. Il n'y a de vrai que les voitures et les chevaux qu'on loue au mois et qu'on ne ménage pas. Du moment que vous avez un cheval qui vous est inutile,  n'en ayez pas.
Il vous arrive de rencontrer à chaque instant un riche seigneur marchant à pied.
- Vous, à pied? lui dites-vous avec étonnement.
- C'est pour laisser reposer mes chevaux! vous répond ce riche seigneur.




C'est en réalité le cocher qui jouit de l'écurie et de la remise. Il est en quelque sorte, le conservateur d'un musée où il n'a rien à faire.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie parisienne, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.

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