dimanche 18 septembre 2016

6 avril 1348, mort de Laure de Noves.

6 avril 1348, mort de Laure de Noves.


Les vers de Pétrarque ont immortalisé le nom de Laure; mais tant de fables s'étaient mêlées à l'histoire de cette femme célèbre, qu'on avait fini par douter même de son existence, et qu'il n'a pas fallu moins de trois volumes in-4° de preuves pour rétablie la vérité.
Laure eut pour père Audibert, qualifié de messire et chevalier; elle naquit vers 1308, à Noves, bourg situé à deux lieues d'Avignon. Son père lui laissa en mourant une dot de six mille livres tournois à l'orond (environ quatre-vingt mille francs); à dix-sept ans elle épousa Hugues de Sade, qui en avait vingt, et dont les ancêtres exerçaient depuis trois générations les premières charges municipales de la ville d'Avignon.
Laure était mariée depuis deux ans lorsque Pétrarque l'aperçut pour la première fois dans une église et conçut pour elle une passion que sa mort même ne devait pas détruire. Fière des hommages du jeune poëte qui la célébrait dans ses chants, qui la suivait partout, aux promenades, aux assemblées, mais fidèle à ses devoirs envers son époux, dont la jalousie était le moindre travers, Laure traitait Pétrarque avec une alternative de douceur et de sévérité, selon qu'il mettait dans ses chants plus de réserve ou plus de flamme. Elle ne le reçut jamais chez elle, les mœurs de son siècle s'y opposaient, et jamais elle ne donna le moindre sujet de soupçonner sa vertu.
Pétrarque cherchait la distraction ou le repos dans la poésie, dans de fréquents voyages en France, en Allemagne, en Italie, et surtout à Vaucluse, où il se retirait pour fuir Laure. Le front ceint des lauriers du Capitole, en 1341, il revint près d'elle plus amoureux que jamais, bien que la beauté de Laure s'altérât de jour en jour, car dans le courant de vingt-trois années, Laure mit au monde onze enfants, dont neuf survécurent à leur mère. Épuisée par ces fatigues réitérées qu'aggravaient encore ses chagrins domestiques, Laure ne conservait plus l'éclat de ses charmes que dans les vers de Pétrarque.
En 1347 Pétrarque alla faire à Laure ses derniers adieux; elle était dans un cercle de femmes, sérieuse, pensive, sans perles, sans guirlande, sans parure; ses yeux exprimaient la tristesse et l'inquiétude; à sa vue, des larmes roulaient dans les yeux de Pétrarque. En effet, l'événement vérifia ces tristes pressentiments: au mois de janvier 1348, une peste venue de Chine se manifesta dans Avignon; ceux qu'elle attaquait mourraient en trois jours. Laure sentit les atteintes du mal le 3 avril, et mourut le 6, sans agonie, au milieu de ses parents, de ses amis, qui bravaient le péril et pleuraient autour de son lit.
Pétrarque apprit cette mort par des songes, des visions; elle lui inspira des chants funèbres non moins beaux que ses chants d'amour. on trouve cette note écrite en latin, de sa main, et collée au bois de la reliure d'un Virgile manuscrit:
"Laure, illustre par ses propres vertus et longtemps célèbre par mes vers, parut pour la première fois à mes yeux au temps de mon adolescence, l'an 1327, le 6 du mois d'avril, à la première heure du jour (six heures du matin), dans l'église de Sainte-Claire d'Avignon, et, dans la même ville, le même jour du 6, et à la même heure l'an 1348, cette lumière fut enlevée au monde. Ce corps si chaste et si beau fut déposé dans l'église des frères-mineurs le soir du jour de sa mort; son âme, je n'en doute pas, est retournée au ciel, d'où elle était venue. Pour conserver la mémoire douloureuse de cette perte, j'éprouve un certain plaisir mêlé d'amertume à écrire ceci, et je l'écris préférablement sur ce bois, qui revient souvent à mes yeux, afin qu'il n'y ait plus rien qui me plaise dans cette vie, et que mon lien le plus fort étant rompu, je suis averti, par la vue fréquente de ces paroles et par la juste appréciation d'une vie fugitive, qu'il est temps de sortir de Babylone, ce qui, avec le secours de la grâce divine, me deviendra facile par la contemplation mâle et courageuse des soins superflus, des vaines espérances et des événements inattendus qui m'ont agité pendant le temps que j'ai passé sur la terre."

Journal des Demoiselles, avril 1844.

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