lundi 19 septembre 2016

Curiosités de quelques villes de France.

Curiosités de quelques villes de France.


Rabelais a dit que la nature ayant débarrassé la Beauce de l'incommodité des montagnes, les transporta sur le dos des Orléanais. En effet, les déviations de la taille étaient très-fréquentes chez eux, il y a encore vingt-cinq ans; et ce dicton, les bossus d'Orléans a consacré le souvenir de ce triste privilège.
Mais aussi les Orléanais étaient spirituels et railleurs, comme le sont d'ordinaire les gens affectés de l'infirmité d’Ésope. Depuis bien des siècles, ils sont renommés pour leur esprit caustique, pour leur raillerie amère et dure. On leur avait, en outre, donné le sobriquet de guêpins.
Un vieux conte imprimé en 1558 commence ainsi: "Certaine dame d'Orléans, gentille et honnête, encore qu'elle fut guêpine..." Dans un autre auteur du temps de la ligue, on trouve ces mots: "Le naturel du guêpin, j'en prends Orléans à témoin, est d'être hagard, noiseux, querelleur et mutin..." Enfin,  on dit souvent encore: la glose d'Orléans est pire que le texte; proverbe qui se trouve déjà mentionné dans les œuvres d'un jurisconsulte du treizième siècle. Après de longues recherches sur l'origine de ce dicton, un honnête historien d'Orléans se voit forcé de convenir qu'il faut l'attribuer à l'habitude qu'ont toujours eue ses concitoyens de broder, de renchérir sur le texte de leurs récits, de le dénaturer par leurs commentaires.
Quelques autres villes de France passaient pour avoir un caractère analogue à celui des Orléanais, par exemple: Châteaulandon, petite ville, mais de grand renom; personne n'y passe qui n'ait son lardon.
A propos de ce sobriquet: Moustardiers de Dijon: " La moustarde (dit un ancien écrivain à qui nous laissons la responsabilité de son assertion) n'est pas meilleure à Dijon, ni plus fréquente qu'ailleurs." Puis il ajoute: "L'origine de ce dire Moustardiers de Dijon n'a donc pas pris sa source de là, mais a commencé sous le roy Charles VI, en l'an 1381, lorsque luy, avec Philippe-le-Hardy, son oncle, allèrent au secours de Louys, comte de Flandres, où les Dijonnois, qui de tous temps ont été très fidèles et très affectionnez envers leurs princes, se monstrèrent si zélez, que, de leur propre mouvement ils envoyèrent mille hommes jusques en Flandres. Ce que reconnoissant ce valeureux duc Philippe, leur donna plusieurs privilèges, et notamment voulut qu'à jamais la ville portât les premiers chefs de ses armes; lui donna sa devise qu'il fit peindre en son enseigne, et qui estoit:

Moult me tarde (1)

Mais comme cette devise estoit en rouleau, de la façon qu'encor aujourd'huy elle est eslevée en pierre à la porte de l'église des Chartreux de Dijon, plusieurs qui la voyoient, même les François, ne prenant pas garde au mot de me, ou dissimulant le voir par envie, allèrent dire qu'il y avoit moustarde, que c'estoit la troupe des moustardiers de Dijon. (2)
Bourguignons têtes dures.  Bourguignons salés. Le premier de ces sobriquets date des longues et opiniâtres  querelles entre les maisons d'Orléans et de Bourgogne, au quatorzième et quinzième siècle; mais le second serait, dit-on, bien plus ancien; il remonterait au temps où les Bourguignons, résidant sur les bords du Rhin (il y a de cela 1.400 ans), étaient constamment en guerre avec les Allemands pour la possession de quelques salines. Voici du reste une autre interprétation sur le même sujet. Vers la fin du malheureux règne de Charles VI, les Bourguignons essayèrent de résister dans Aigues-Mortes au sénéchal de Beaucaire, chargé de faire le siège de la ville. La place, défendue par d'épaisses et hautes murailles et pourvue d'abondantes provisions, tenait depuis plus de cinq mois, lorsque dans une nuit de la fin de janvier 1421, la garnison, surprise par les assiégeants auxquels s'étaient joints les bourgeois, fut toute entière passée au fil de l'épée. Les cadavres étaient si nombreux, que, pour éviter les pernicieux effets de leurs putréfaction, on prit le parti de les entasser sous des monceaux de sel, dans une des tours de la ville, qui porte encore aujourd'hui le nom de Tour des Bourguignons.
Quoiqu'il en soit de l'origine du surnom, toute la France connaissait autrefois ce refrain:

Bourguignon salé,
L'épée au côté, 
La barbe au menton,
Saute Bourguignon!

Les sobriquets de villes sont très-communs en Bourgogne, en Franche-Comté et dans les provinces du Nord. On y trouve:
Auxerre, ville de buveurs;
Mâcon, ville de larrons; 
Coulange la vineuse, cette heureuse bourgade, où le vin est si abondant que plusieurs fois il y fut employé à éteindre les incendies;
Dôle, qui fut longtemps appelée la Joyeuse, parce qu'elle était assise dans la fertile plaine du Val d'Amour; mais qui reçut le nom de la Dolente quand les troupes de Louis XI en eurent massacré les habitants, brûlé les maisons et rasé les murailles;
Noyon, dite la Sainte, parce que de bonne heure elle fut le siège d'un évêché;
Péronne la Pucelle, fière d'avoir été longtemps imprenable; 
Saint-Quentin la Grande;
Ham, la bien placée;
Chauny, la Bien-aimée;
Athies, la désolée;
Angers, Basse ville et Hauts clochers;
Les pelletiers de Blois. Ce pays était renommé pour ses cuirs, renfermés dans des fosses au fond de la terre; fosses qui, dit-on, ne s'ouvraient qu'au bout de cent ans.
Plusieurs de ces villes avaient même deux surnoms à la fois. Les bourgeois de Saint-Quentin étaient appelés les beyeurs (curieux) à cause de leur penchant à regarder les étrangers sous le nez; ceux de Chauny les singes, parce que leur compagnie d’arbalétriers avait fait peindre un singe sur son étendard; enfin, on disait les sonneurs d'Angers parce qu'on rencontrait à Angers une grande quantité de prêtres et d'églises; les sots de Ham, parce que cette ville avait longtemps possédé une de ces compagnies de sots ou de fous si commune durant le moyen âge, et dont les joyeux associés se promenaient souvent à travers les rues, montés à rebours sur des ânes.
Un Manceau vaut un Normand et demi. On a voulu expliquer l'origine de ce proverbe en rappelant que la monnaie frappée jadis par l'évêque du Mans était plus forte de la moitié que la monnaie de Normandie. Mais si l'on songe aux imputations qui ont pesé sur les Normands, on comprend toute la portée de la comparaison. Il faut convenir que le sobriquet se trouvait encore justifié, il n'y a pas longtemps, par les habitants du canton du Mans où les communications sont les moins faciles. Dans le perche, par exemple, le paysan, fidèle à ses vieilles mœurs, passe pour laborieux mais intéressé, routinier, rusé. Quand il va vendre ses denrées à la ville, il se distingue par ses vêtements gris, ses longs cheveux, son immobilité dans la foule, sa voix haute et brusque, et son patois rude. C'est aussi ce qui a valu aux campagnards du Bocage le sobriquet de sangliers.
En 1639, les habitants de la Basse-Normandie, poussés à bout par la pesanteur des impôts, s'étaient révoltés contre l'autorité royale. Réunis sous le nom de va-nu-pieds, ils avaient résisté trois ans aux troupes envoyées pour les réduire. Depuis ce temps, l'épithète de va-nu-pieds est resté aux habitants de Mantilli, petite ville du département de l'Orne.
A peu de distance de Mantilli est
Domfront, ville de malheur;
Arrivé à midi, pendu à une heure.

La légende populaire raconte qu'un jour quatre chaudronniers de Villedieu rencontrèrent sur la grande route un inconnu, l'accablèrent de mauvais traitements et le forcèrent à porter leurs bagages jusqu'à Domfront, où ils entrèrent vers midi. Une heure après, on voyait les pauvres diables pendus haut et court au gibet... l'étranger n'était rien moins que le roi.
Cette histoire ne nous semble pas bien trouvée. On disait autrefois:

Qui fit Normand,
Il fit truand (voleur).

On prétendait aussi que les Normands ne semaient jamais de chanvre, de crainte de fournir des armes contre eux-mêmes. Nous pouvons donc supposer que les tribunaux de Domfront s'étaient rendus redoutables pour leurs formes expéditives, à l'encontre des larrons de la Normandie,

Pays connu dans notre France,
Par la chicane et la potence.

On disait d'Alençon, chef-lieu d'un duché donné souvent à des princes du sang royal, et siège d'une cour où les gentilshommes se ruinaient en frais de représentation:

Petite ville, grand renom,
Habit de velours, ventre de son.

Les environs de Mortain offrent des sites forts pittoresques; ce ne sont partout que rochers, cascades, vieux manoirs; mais ces beautés qui émerveillent le touriste, sont chèrement compensées par le manque total des denrées les plus nécessaires à la vie. De là le proverbe,

Mortain
Pays de chien,
Plus de pierres que de pain.

Il n'y a pas de ville en Normandie à laquelle ne soient ainsi appliqués des dictons, souvenirs durables de quelque différence de mœurs ou de coutumes. On dit: les friands de Caudebec, les danseux des Andelys, les musards d'Avranches, les paresseux de Verneuil, les joleux (railleurs) d'Iville, les jureurs de Bayeux; les habitants de Bretoncelles portent le sobriquet de faux témoins. C'est probablement dans ce village qu'en demandant à un paysan quel était son métier, on reçoit la réponse "j'témoignons". La ville de Pont-Audemer appartenant au diocèse de Lisieux, faisait maigre tous les samedis, entre Noël et la Purification; oeuvre méritoire dont étaient exempts les diocésains de Rouen; telle est l'origine de l'épithète de mangeurs de pois, donnée aux habitants de Pont-Audemer.
Les bourgeois de Louviers furent appelés mangeurs de soupe pour s'être laissé surprendre par le maréchal de Biron, le 6 juin 1594, à midi, heure du dîner.
En parlant d'une personne dont les jambes sont maigres, on dit quelquefois: Il vient de Saint-Malo. Hâtons-nous d'ajouter que cela ne signifie point que les habitants de Saint-Malo aient la jambe mal faite; mais c'est dans cette ville une coutume fort ancienne le lâcher la nuit une troupe de gros chiens. Sitôt que les cloches du beffroi avaient sonné la retraite, ces patrouilles de singulière espèce rôdaient dans les rues et sur les remparts, s'acquittant de leurs fonctions de police avec une consciencieuse rigueur, saisissant aux jambes et déchirant à belles dents quiconque leur semblait en vouloir à la sûreté des bourgeois ou de la ville.
Strasbourgeois, pipeurs de mésanges. Il y a quelques années, une troupe de pauvres comédiens allemands était venue se hasarder au théâtre de Strasbourg. Dès le début, le parterre exprima son improbation par certains bruits toujours odieux à l'oreille d'un acteur. C'était pendant une représentation de la Flûte enchantée, de Mozart.
Tout à coup l'acteur chargé du rôle de Papagnéno, l'oiseleur, s'avance vers la rampe, semble prêter l'oreille et s'écrie: " Ah! j'entends, je crois, chanter des mésanges!" Nous n'essayerons pas de peindre le tumulte qui suivit ces paroles; les trépignements, les sifflets redoublant avec fureur, les projectiles de toute sorte pleuvant sur la scène... enfin il fallut baisser le rideau, et les acteurs allemands repassèrent le Rhin.
Les mauvais plaisants qui veulent bien donner aux strasbourgeois un sobriquet fort connu (dans la patois alsacien Meissenlocker), en ignorent certainement l'honorable origine. Les citoyens de l'ancienne république de Strasbourg durent leur réputation de pipeurs de mésanges bien moins à leur aptitude pour cet innocent passe-temps, qu'au talent avec lequel ils firent gronder ou chanter une de leurs plus célèbres pièces d'artillerie, appelée la Mésange.
Pendant les guerres de religion qui tour à tour amenèrent les reîtres allemands au cœur de la France et les gens d'armes français sur les bords du Rhin, il advint qu'en 1552, le roi Henri II s'avança en personne jusqu'aux portes de Strasbourg et y dressa son camp. Il avait, disait-il, une extrême envie de voir la ville pour sa beauté, et n'y rentrerait qu'avec une fort petite compagnie, pour ôter aux bourgeois tout soupçon. Néanmoins il avait machiné quelque ruse pareille à celle qui tout récemment avait fait tomber Metz en son pouvoir. Plus inquiets que flattés d'un tel voisinage, les magistrats de la cité furent assez peu courtois pour faire pointer la Mésange sur le quartier général de Sa Majesté. Elle ne siffla qu'une fois; mais le boulet, si l'on en croit la tradition, traversa la tente royale; là-dessus l'imprudent visiteur se hâta d'ordonner la retraite, et il se souvint longtemps, dit-on, de l'outrecuidance des Meissenlocker.

                                                                                                       Feu Auguste Dumonchau.

(1) Moult, vieux mot français signifiant beaucoup; moult me tarde équivaut à j'ai hâte.
(2) Extrait des Bigarrures du seigneur des Accords, impr. en 1662.

Journal des Demoiselles, janvier 1844.

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