mardi 31 mai 2016

Le professeur qui fait le discours.

Le professeur qui fait le discours.


Il a été désigné par le recteur pour prononcer le discours à la Sorbonne ou au Lycée. C'est donc lui qui, après l'ouverture des Diamants de la couronne, jouée par un orchestre selected, se lèvera solennellement et pendant trente-cinq minutes, tiendra l'auditoire sous le charme d'une improvisation écrite avec réflexion.
Autrefois, c'était un thème latin, pour lequel le professeur élu mettait en réserve tous les solécismes que les élèves lui avaient collectionnés. Aujourd'hui, c'est une dissertation française. Autrefois, il cousait les uns aux autres des lambeaux de Cicéron, de Salluste, de Sénèque et de Tacite. Aujourd'hui il pastiche Bossuet et Fénelon en les saupoudrant d'un zeste de Vauvenargues et d'un peu de poudre à la Voltaire.




Ce qu'il dit est peu important. Dans une distribution de prix, la forme du discours l'emporte sur le fond. La pensée (mens) doit céder le pas à la matière (moles). De belles périodes criblées d'incidentes, et présentant tour à tour à l'attention d'un public déjà fatigué le panorama coloré de litotes s'accrochant aux catachrèses, des prétéritions poursuivies de près par les hyperboles, des métaphores écrasées sous le poids des antimétaboles, le tout nageant dans un océan d'épanaphores, hypallages, myctérismes, paliulogie, paralipses, prosopopées, syllepses, synecdoches, litotes et homoïophotons.
C'est un beau jour pour le professeur. Il a pour public, d'abord lui-même qui s'écoute. C'est le meilleur. Ensuite, les autres professeurs qui se disent: "Je serai comme ça l'année prochaine", et enfin les élèves de la classe qu'il a si savamment dirigée pendant l'année scolaire.




Ceux-ci, quoique délivrés de sa tutelle, se souviennent encore des pensums reçus et de mauvaises notes libellées sur le cahier de correspondance. Ils n'écoutent pas, mais, chaque fois que le professeur s'arrête, ils ont le sentiment qu'il faut taper des mains.
Après son discours, le professeur se rassied. Il est immédiatement complimenté par le proviseur et les collègues, qui, rentrés chez eux, diront à leur femme: "Ce pauvre X!... Il y avait cinquante-trois fautes de français dans son discours. Quelle drôle d'idée de l'avoir choisi, quand j'étais là!".


Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations par Caran d'Ache, Job et Frick.

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