lundi 30 mai 2016

M. Chevreul.

M. Chevreul.


L'une des plus pures gloires de France, l'un de nos plus grands savants, vient de disparaître.
M. Chevreul s'est éteint le 9 avril dans sa 103e année...
Si le temps ne s'est pas montré avare à son égard, lui de son côté a su faire des années qui lui étaient si généreusement concédées l'emploi le plus profitable à la science et le plus utile à l'humanité. Sa longue et magnifique carrière a été tout entière remplie par le travail. Le monde entier vénérera la mémoire de ce patriarche plus que centenaire qui se donnait si volontiers le titre de doyen des étudiants de France.
Michel-Eugène Chevreul est né à Angers, le 32 août 1786, dans la rue des Deux-Haies, n° 11.
Il était fils de Michel Chevreul qui fut un médecin distingué et d'Etiennette-Madeleine Bachelier, qui moururent l'in à 91 ans, l'autre à 93. Il grandit en pleine révolution et le souvenir de cette époque a laissé dans son esprit une impression profonde qui ne s'est jamais effacée.




Aussi est-ce avec émotion que, 99 ans après la prise de la Bastille, il put voir au Champ de Mars la reconstitution de cette forteresse qui était tombée pendant son enfance.
Chevreul fit ses premières études à l'Ecole centrale d'Angers, et vint à Paris en 1803. Il entra comme manipulateur dans la fabrique de produits chimiques de Vauquelin qui le chargea promptement de la direction de son laboratoire, et, dès 1810, il était préparateur de chimie de Vanquelin au Muséum d'histoire naturelle; en somme qu'il resta au Muséum pendant 79 ans. En 1813, il fut nommé professeur au Lycée Charlemagne, et, en 1824, directeur des teintures et professeur de chimie spéciale à la manufacture de tapis des Gobelins. Là, il put se livrer à des recherches et à des analyses dont les résultats furent considérables.
En 1826, l'Académie de Sciences recevait Chevreul dans son sein et en 1830 il succédait à son ancien maître Vauquelin dans la chaire de chimie appliquée du Muséum; en 1884, il professait encore. Il fut nommé aussi directeur du Muséum, fonction qu'il conserva jusqu'en 1879.
C'est en cette qualité de directeur du Muséum que, pendant le siège de Paris, Chevreul protesta énergiquement contre les dégradations causées par le bombardement dans les serres et galeries du Jardin des Plantes et qu'il fit consigner au procès-verbal de l'Académie, le 9 janvier 1871, la déclaration suivante:


                            Bombardement du Muséum d'Histoire naturelle.

                                                                   DÉCLARATION

"Le Jardin des Plantes médicinales, fondé à Paris, par édit du roi louis XIII, à la date du mois de janvier 1626,
Devenu le Muséum d'Histoire naturelle par décret de la Convention du 10 juin 1793,
                                               Fut bombardé
Sous le règne de Guillaume 1er, roi de Prusse, comte de Bismarck, chancelier,
Par l'armée prussienne, dans la nuit du 8 au 9 janvier 1871.
Jusque là, il avait été respecté de tous les partis et de tous les pouvoirs nationaux et étrangers.
                                                                                                                E. Chevreul, directeur."





Les travaux publiés par Chevreul sont très nombreux. Les premiers paraissent en 1806 et, à la fin du même siècle, il faisait encore des communications à l'Académie des sciences. Des théories entièrement neuves ont été le fruit de ses recherches et la plupart de ses découvertes ont eu pour résultat de créer des industries ou des arts nouveaux, ou de perfectionner des procédés industriels. A ce titre, Chevreul n'a pas été seulement un grand chimiste, il a été un bienfaiteur de l'humanité. Les plus mémorables travaux de Chevreul sont ses recherches sur les corps gras, sur les couleurs et sur les teintures.
Avant Chevreul, on avait une connaissance peu précise des corps gras. il a donné le premier une théorie exacte de la saponification, c'est à dire de la formation d'un savon, comme résultat du contact d'une matière grasse avec un alcali. C'est cette décomposition des corps gras par les alcalis caustiques qui l'amena à isoler et à étudier la stéarine, l'oléïne, la margarine, la glycérine. Il fut conduit par là à la découverte des bougies stéariques et à beaucoup d'autres applications industrielles. Ces découvertes lui ont valu, en 1852, un prix de 12.000 francs de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale.
En ce qui concerne les couleurs, Chevreul a montré ce qu'on devait entendre par les nuances et les tons; il a établi que la nuance est le résultat du mélange de plusieurs couleurs, et le ton le résultat du mélange d'une nuance avec le blanc ou le noir. Il a pu ainsi classer les couleurs au moyen d'une sorte de gamme et arriver à reconnaître les règles auxquelles sont soumises les harmonies d'analogie ou de contraste des couleurs. Il en a fait l'application aux teintures en recherchant le mode d'emploi des couleurs et de leurs variétés dans les arts décoratifs.
Nous ne saurions indiquer ici toutes les œuvres de Chevreul. Il faudrait tout au moins parler de ses travaux sur la méthode expérimentale, sur la classification des sciences, sur la notion d'espèce en histoire naturelle, sur la baguette divinatoire, sur les tables tournantes, et sur bien d'autres sujets. Mais il faut nous limiter. Nous terminons en rappelant les paroles suivantes qu'adressait M. Louis Passy à Chevreul lors de son centenaire, et qui résument la vie admirable du grand savant que la France vient de perdre:
"Vous avez traversé le siècle d'un pas toujours ferme et mesuré, par la grande route du travail désintéressé, laissant dans vos écrits, d'étape en étape, la marque de votre fidélité à vous-même de votre passion pour la vérité et de votre foi inaltérable de la science."

                                                                                                             Georges Regelsperger.

La Petite Revue, premier semestre 1889.

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