mardi 2 février 2016

Bars, cafés et cabarets.

Bars, cafés et cabarets.
        au quartier latin.


En montant la rue Saint-Jacques, on rencontre, juste en face de l'école des Sourd-Muets, un petit café calme et silencieux, aux vitres peintes en blanc, avec une lanterne sur laquelle on lit ces mots: Aux enfants du Nord. Des inscriptions, sur la devanture, indiquent qu'on peut y boire des spécialités des Flandres.



On y boit, en effet, de la vraie bière du Nord au goût de genièvre, dans des griboulettes en porcelaine blanche. Pour les gens de là-bas, il fait bon parler du pays, dans ce café. On y vient souvent communier dans le souvenir de la province natale. Un soir, il arriva toute une bande de mineurs de passage à Paris. Ils buvaient déjà depuis quelque temps en fumant leur pipe, lorsque, soudain, l'un d'eux se leva, les autres l'imitèrent et tous allèrent s'accroupir le long du mur. Comme on s'étonnait de ce geste étrange, ils expliquèrent, et cette raison paraissait bien inattendue, qu'habitués qu'ils étaient à travailler dans cette position, ils éprouvaient pour se délasser, le besoin instinctif de plier leurs membres ainsi qu'ils avaient coutume de le faire dans la mine.
Un des bons clients de ce café était un architecte nommé Lecoq.
C'était un homme d'un réel talent, mais que la bohème et les théories qu'il avait sur les choses rendaient intraitable. Pour un rien, il se mettait à s'emporter contre les bourgeois, et le client à qui il faisait cette profession de foi se sauvait affolé. Un fait le peindra tout entier. Un homme riche, ayant rompu le traité qu'il avait avec lui, lui donna dix mille francs d'indemnités. Lecoq réalisa cette somme en pièce d'or et d'argent, et, cette fortune placée sur une table de café, il invita tous ses amis à prendre ce qu'ils voulaient, à condition, toutefois, que chacun se rappelât bien ce qu'il prenait, afin de pouvoir lui rendre aux jours de misère. Les jours de misère revinrent bien plus vite que cet argent, si imprudemment dissipé...
Un peu plus haut dans cette rue, se trouve un hôtel qui n'a de curieux ni son passé ni son aspect, mais bien la clientèle qu'il eut un certain temps..
C'est là que descendaient les enragés qu'on menait à l'Institut Pasteur.
Une grande maison neuve a remplacé la masure du coin de la rue du Val-de-Grâce dont le rez-de-chaussée était occupé par le cabaret du Roi Clovis.
Ce cabaret avait d'abord été rue Descartes, presque à l'angle de la place Sainte-Geneviève, où vient finir la rue Clovis. De là son nom. Il a été tenu en 1816 par un nommé Duhamel, et c'est dans cette même maison que se réunissaient les quatre fameux sergents de La Rochelle. Ils n'entraient jamais au cabaret du Roi Clovis, mais se faisaient monter à boire dans leur chambre. C'est ce qu'expliqua le malheureux Duhamel, mêlé sans le vouloir à cette retentissante affaire. Installé rue Saint-Jacques, cet établissement n'avait plus de curieux que son enseigne, une enseigne magnifique, peinte à l'huile, représentant le roi Clovis. On affirmait qu'elle était l'oeuvre d'Albert de Pujol.
On peut en voir encore les traces; mais que sont devenues aussi les peintures décorant le cabaret du Lapin Voyageur, sis au 289 de cette même rue, dans une très vieille et pittoresque maison qui existe encore, en partie, tout au moins? 



La légende veut que cette demeure ait appartenu, autrefois, à Mme du Barry. Quoi qu'il en soit, il est bien certain que sa construction date des premières années du dix-huitième siècle et que ce fut une demeure seigneuriale. La preuve en est donnée par le portique de grande allure et un escalier en pierre à rampe de fer forgé. Mais tout le reste des bâtiments a été démoli bien longtemps avant et remplacé par un hôtel meublé et une boutique de mercerie. Il y a, maintenant, un café-bureau de tabac tout neuf à la place du vieux cabaret du Lapin Voyageur, célèbre par les illustrations qui ornaient ses murs et fondé par un nommé Collonge, qui fit fortune dans le commerce des escargots.

                                                                                                                     André Warnod.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 2 novembre 1913.

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