jeudi 8 octobre 2015

Les trottoirs mobiles.

Les trottoirs mobiles.


Les moyens de transport s'améliorent tous les jours; à chaque instant les inventeurs nous fabriquent de nouvelles machines qui permettent d'effectuer les voyages avec une rapidité beaucoup plus grande. Dans ce sens, rien n'est négligé. Dans les grandes villes américaines tous les systèmes de tramways ont été mis en service; les chevaux, la vapeur, l'électricité, l'air comprimé, la traction par câble sont employés conjointement pour mouvoir les voitures et permettre le transport facile et rapide des habitants de ces immenses métropoles. Il semblerait que tout a été fait. Le dernier mot n'était cependant pas dit.
Tous ces moyens de communication, quels qu'ils soient, ont tous un défaut commun qui se traduit par une perte de temps assez considérable; les voitures sont obligées de s'arrêter pour laisser monter ou descendre les voyageurs. Dans les villes cependant les voitures marchent souvent assez peu rapidement pour qu'on y puisse monter pendant la marche. Mais ce moyen n'est guère utilisé que pour les hommes et il faut toujours arrêter la voiture pour les femmes et les enfants.
Supprimer tout arrêt dans la marche d'un véhicule, tel est le problème que se sont posé et qu'ont résolu MM. Silsbee et Schmidt, deux ingénieurs américains. Pour arriver à ce but, ils emploient ce qu'on appelle des trottoirs mobiles, sorte de longues plates-formes portant des banquettes et qui marchent d'un mouvement continu. Cette idée d'une plate-forme mobile, portant des sièges sur toute sa longueur, constituant par conséquent une chaîne de wagons ininterrompue, n'est pas américaine, elle appartient à un ingénieur français, M. Hénard, qui avait proposé ce moyen pour le transport des voyageurs dans l'Exposition de 1889. La plate-forme de M. Hénard aurait marché à une vitesse de cinq kilomètres à l'heure, avec un arrêt de quinze secondes par minute, pour permettre aux voyageurs de monter; la vitesse de marche était, par ce seul fait, réduite à 4 kilomètres à l'heure.
MM. Silsbee et Schmidt ont supprimé ces arrêts qui retardent singulièrement la marche et détériorent le matériel par des secousses perpétuelles. Ils ont montré, par des expériences nombreuses, qu'une personne quelconque, même la moins ingambe, pouvait facilement passer du sol sur une plate-forme courant à raison de 5 kilomètres à l'heure. Cela n'a d'ailleurs rien de surprenant si l'on songe que cette vitesse est celle d'un homme marchant au pas à une allure modérée.
Il s'agissait d'augmenter cette vitesse de transport qui est tout à fait insuffisante. Le raisonnement indiqua qu'il ne devait pas être difficile de passer d'une plate-forme mobile sur une autre mobile également pourvu que la différence des vitesses des deux plates-formes ne dépassât point 5 kilomètres à l'heure. C'est cette expérience qui fut faite sur une ligne d'essai organisée au Jackson Park de Chicago. Deux trottoirs mobiles durent établis pendant deux mois et transportèrent plus de dix mille personnes des deux sexes et de tout âge sans qu'on ait eu à déplorer le moindre accident.
C'est cette ligne que représente notre première gravure. 



Du trottoir immobile on passe sur une première plate-forme marchant à raison de 4 kilomètres à l'heure. De place en place se trouvent disposés des poteaux qui permettent aux personnes peu expérimentées de prendre un point d'appui au moment de leur passage. La plate-forme à grande vitesse marchait à raison de 8 kilomètres à l'heure et portait sur toute sa longueur des banquettes à trois places. La différence de niveau ente les plates-formes était de 0,05 m. Mais pour éviter tout accident, cet intervalle était rempli au moyen de longues bandes de caoutchouc empêchant absolument le pied de s'introduire entre les deux plates-formes.
Les trottoirs mobiles pour pouvoir franchir les courbes sont constitués par une série de plate- forme longues de 3,66 m. et suffisamment espacées pour pouvoir franchir des courbes descendant jusqu'à 23 mètres de rayon. L'intervalle entre chaque châssis est comblé par des panneaux mobiles articulés à charnières sur l'un des châssis et s'appuyant sur le suivant. Comme on peut le voir, toutes les précautions ont été prises pour assurer le bon fonctionnement du train.
Il reste maintenant à expliquer comment des vitesses différentes sont imprimées aux plates-formes. Le moyen employé est bien simple. Le long d'un axe roulant au moyen de petites poulies sur des rails plaçons des roues de diamètres différents et disposées comme l'indique notre seconde figure, c'est à dire que deux roues de diamètre égal supportent une plate-forme. 



Qu'arrivera-t-il au moment où l'axe sera mis en marche? Cela se comprend de soi. Les différentes plates-formes s'appuyant sur des roues de diamètres inégaux se mouveront à des vitesses différentes et proportionnelles au rayon de la roue sur laquelle elles s'appuient: plus le diamètre sera grand, plus la vitesse augmentera? c'est très simple dans le principe, ça l'est aussi dans l'application et MM. Silsbee et Schmidt se font forts d'établir leur chemin de fer dans les rues de Chicago et d'imprimer à la plate-forme à marche rapide une vitesse d'environ 20 kilomètres à l'heure au moyen de quatre plates-formes. Il ne faut pas multiplier par trop le nombre de ces plates-formes, car on arriverait alors à éprouver de sérieuses difficultés pour franchir les courbes.
Le chemin de fer métropolitain qu'ils proposent d'établir à Chicago sera aérien, supporté par de légers pylônes placés à une distance d'environ 5 mètres les uns des autres. Les stations seront multipliées de façon qu'à chaque instant on puisse prendre son train sans attendre. Cette facilité de se mettre en route aussitôt arrivé a permis de supprimer les gares d'attente ou tout au moins de les réduire de beaucoup. Pour mouvoir ces trains, on se sert de moteurs multiples placés sous les trucs. Du même coup l'électricité se trouvait tout indiquée et c'est, en effet, son énergie qui a été employée dans la ligne d'essai.
En résumé, les avantages présentés par ce nouveau système sont la légèreté et par suite le bon marché de la construction, la grande flexibilité du train du point de vue des courbes, la suppression des arrêts pour prendre ou pour laisser des voyageurs. Enfin, il y a une grande augmentation de la capacité du transport, puisqu'on a compté qu'on pouvais faire passer trente mille voyageurs à l'heure devant chaque point du trajet alors que par les meilleurs systèmes on n'arrive à transporter à Chicago que douze mille voyageurs à l'heure.

                                                                                                                      L. Beauval.

La Science illustrée, 11 juin 1892.

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