lundi 24 novembre 2014

Inscriptions à la main.

Inscriptions à la main
sur les murs de Pompéi.



Ecrire sur les murailles est une sotte et honteuse habitude d'enfants grossiers. C'est un fait punissable. Les honnêtes gens ont grand soin, par respect pour eux-mêmes, de ne jamais arrêter leur attention sur ces stupides ou ignobles inscriptions. On s'étonne, avec quelque raison, que l'on ne s'attache point avec plus d'activité et de persistance à pourchasser ce scandale et à le faire disparaître complètement. Une impulsion vive et intelligente donnée à la surveillance et à la répression de ces faits serait certainement accueillie avec applaudissement et reconnaissance.
Dans les villes grecques et romaines, on écrivait aussi sur les murs. Le plus souvent on se servait de la pointe d'un stylet pour tracer les caractères sur le ciment peint. Les monuments publics et les maisons privées de Pompéi ont conservé les traces d'un grand nombre de ces inscriptions. Vieilles de dix-huit siècles, elles sont pour la plupart aussi lisibles que si elles ne dataient que d'hier. Des savants ont relevé ces curieux exemples de l'écriture vulgaire des anciens. Ce n'étaient pas assurément les hommes instruits, les citoyens respectables qui avaient recours à ce moyen pour exprimer leurs pensées: c'étaient des esclaves, des jeunes gens de peu d'éducation, des enfants. Il s'écrivait aussi bien des sottises. Cependant il résulte de cette étude, futile en apparence, quelques observations intéressantes.
Un grand nombre de ces inscriptions de Pompéi ne sont autre chose que des vers empruntés aux meilleurs poëtes latins. Comme le plus souvent, on y trouve des fautes d'orthographe, on ne saurait douter que ces citations n'aient été le fait des esprits les moins cultivés de Pompéi: c'est absolument comme si ceux qui écrivent aujourd'hui sur nos murs avec le charbon ou la craie y citaient habituellement des vers de Racine ou de Boileau. On trouve donc dans ces signes vulgaires, préservés d'une manière si extraordinaire, une preuve nouvelle que dans l'antiquité, les poésies les plus élevées étaient familières à la partie même la moins instruite de la population et qu'elles étaient appréciées par elle avec goût, de même que les plus belles œuvres de la peinture et de la sculpture.
Lors de l'ensevelissement de Pompéi sous les cendres du Vésuve, l'an 79 de l'ère chrétienne, la littérature latine avait produit ses plus belles fleurs et ses plus beaux fruits. Les vers que l'on rencontre le plus souvent sur les murs sont d'Ovide, de Virgile, de Properce, etc. On n' a découvert aucun vers d'Horace, qui cependant prenait les bains au golfe de Baia et devait être très-connu personnellement par beaucoup d'habitants de Pompéi. On cherche à expliquer ce silence des murailles par la nouveauté de la prosodie d'Horace qui semblerait avoir nui à sa popularité: mais ce motif pourrait au plus se rapporter à ses odes: on ne comprend pas bien comment le peuple n'aurait pas connu et aimé à citer les hexamètres de ses Épîtres, de ses Satires et de son Art poétique. Toutefois, il est vrai de dire que ce poëte si savant, si fin, si concis, si philosophique, est surtout à l'usage de ceux dont le goût est le plus exercé et le plus sérieux.
Ces inscriptions ont donné lieu à une autre remarque curieuse. En reproduisant les vers des poëtes romains, les Pompéiens y mêlaient souvent des mots grecs. La Grande Grèce ne s'étaient pas entièrement convertie à la langue latine, et c'est surtout dans le peuple qu'avaient dû se conserver le plus longtemps quelques unes des locutions de la mère-patrie.
Sur la muraille du palais de justice (la basilique), près de l'entrée principale, on lit deux vers d'Ovide bien connus: le premier est ainsi écrit:

"Quid pote tam durum saxso aut mollius undà?"

Au lieu de:

"Quid magis est saxo durum? Quid mollius undà?
  Dura tamen molli saxa cavantur aquâ."

Quoi de plus dur qu'un roc? Quoi de plus mou que l'onde
Qui laisse au dur rocher une empreinte profonde?

Le quid pote tam pour quid magis est est un curieux grécisme, et l's ajouté à l'x dans le mot saxso était certainement contraire à l'orthographe correcte du siècle d'Auguste.
On trouve du reste plus d'un barbarisme volontaire ou involontaire sur ces inscriptions, par exemple: Cosmus nequitiœ est magnissimœ, ce que l'on peut traduire ainsi: "Cosmus est d'une grandissime méchanceté."
Certaines inscriptions sont des épigrammes: telle est celle-ci que l'on voit sur le mur du palais de justice, et dont l'auteur est sans doute un plaideur mécontent:

QUOD PRETIUM LEGI ?

A quel prix la justice?

En un autre endroit, un esclave, voulant faire le plaisant a écrit:

PYRRUS G.


CONLGÆ SAL.
MOLESTE FERO, QUOD


AUDIVI TE MORTUM,
ITAQUE VALE.


Pyrrhus G.
A son collègue, salut,
Je suis affligé de ce que
J'ai appris que tu es mort,
C'est pourquoi, porte-toi bien.

Sur le mur d'une maison de la rue du théâtre, on lit cette sorte d'affiche à la main:

URNA VINARIA PERIIT DE TABERNA

SEI EAM QUIS RETULERIT
DABUNTUR
H. S. LXV; DEI FUREM
QUISABDUXERIT
DABITUR DUPLUM
A VARIO.

Une urne à vin a disparut de la taverne,
A celui qui la rapportera
on donnera
H. S. LXV; si le voleur
est livré, 
le double sera versé
par Varius.

Ailleurs, on voit écrit:

EPAPHRA, PILICREPUS NON ES.

Epaphra, tu n'es pas un bon joueur de balle.

Il paraît  par d'autres inscriptions que le jeu de balle était fort à la mode dans Pompéi. Un ami d'Epaphra ou Epaphra lui-même, avait traversé d'une ligne ou raie la phrase injurieuse. On donnait aux noms grecs d'esclaves en as la terminaison latine a.
Quelques inscriptions sont, non pas seulement épigrammatiques, mais séditieuses. On lit sur une des colonnes du quartier des soldats ces mots Canidia Ner... qui paraissent signifier: "Néron empoisonneur." Le nom propre Candia était adopté comme un synonyme de cette horrible épithète. Néron était mort onze ans avant la ruine de Pompéi.
Ceux de nos lecteurs que ces recherches intéresseraient trouveront d'autres inscriptions dans un petit opuscule d'un chanoine de Saint-Pierre, à Westminster, M. Chr. Wordsworth (Pompeian inscriptions).

Le magasin pittoresque, juillet 1851.






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