mardi 9 avril 2024

Petites têtes, vieux bonnets.



Qui ne s'est amusé à tenir sur son poing un de ces bonnets d'enfants dont la vue éveille en nous tant d'images gracieuses et de tendres sentiments? Quelques-uns, qui nous viennent des siècles passés ou du fond des provinces, sont de véritables merveilles d'élégance et des chefs-d'œuvre de parure. Après en avoir admiré le luxe ou la grâce, goûté la gentillesse ou la drôlerie, nous poserons une question dont nous soulignons l'intérêt à toutes les mères. Que pensent les médecins de cette coutume de couvrir la tête des enfants? La croient-ils utile ou fâcheuse?





Cette petite tête de l'enfant si fragile, si malléable encore, où s'accumule déjà tout un monde d'image et d'expressions, où se prépare tout un avenir, comment en prendre trop de soin! Aussi depuis qu'il y a des mères et qu'elles aiment leur petit, se sont-elles ingéniées à soigner, protéger, orner, couvrir, surcharger cette tête précieuse et charmante.
Elles y ont mis, ces tendres mères, une sollicitude toujours intéressante et touchante, même quand elle se trompe. Certaines des coutumes dont elles se sont avisées, à travers les pays et les temps, nous semblent-elles maladroites, dangereuses ou baroques, remontez à l'origine, vous serez assurés d'y retrouver les suggestions de cet amour maternel sans cesse en éveil.


Coutumes exotiques et préjugés tenaces.

Au pays de l'Islam, dès que le duvet qui pousse sur la tête du nouveau-né devient chevelure, la mère a bien soin de ne le raser qu'en laissant toujours une mèche intacte. Car elle sait qu'Allah viendra, au jugement dernier, reconnaître les siens et tirer de terre, par la queue des cheveux qui poussent au sommet de son crâne, le disciple fidèle qu'il enlèvera ainsi dans son délicieux paradis.



Enfant arabe.

Dans les pays d'Orient, l'ardeur du soleil oblige à couvrir de fourrure et turbans de laine la tête des bébés, élevés la plupart du temps à moitié nus.


L'Orientale, qui élève son enfant presque nu, lui emmaillotte au contraire soigneusement la tête. Elle sait que l'ardeur du soleil est meurtrière pour ce crâne encore délicat. Aussi accumule-t-elle, comme cela se fait en plusieurs régions, les broderies épaisses et les fourrures qui semblent un paradoxe dans ces climats brûlants; ou, comme au Japon, elle échafaude fleurs, coquillages et clinquant; le principe est le même.
Et toutes les mère veulent, bien entendu,  que leur enfant soit le plus joli du monde. C'est pour cela que, dans beaucoup de peuplades sauvages, on soumet le crâne à de savantes déformations; par exemple, on le comprime entre des planchettes qui, disposées des deux côtés, l'obligent à se développer en forme de cône. Car ces primitifs trouvent à un crâne en pointe une beauté sans pareille. Mais croirait-on qu'hier encore, dans le pays civilisé par excellence de la vieille Europe, en France même, un traitement analogue était réservé aux crânes des petits Méridionaux?
Dans le pays basque, dans le Béarn et jusqu'aux environs de Carcassonne, on faisait au nouveau-né un turban de bandes de toile fortement serrées par des petits cordons. Cette compression déformait le crâne: les maux de tête, l'imbécilité, la folie, en étaient les conséquences logiques.
Que de préjugés saugrenus ont eu cours en cette matière! Dans un traité en date de 1350 et dédié au roi Charles V, on lit que, les enfants ayant besoin de dormir beaucoup, "c'est la cause pourquoi on berce l'enfant, à cette fin que la chaleur l'émeuve à dormir par les fumées qui montent au cerveau." C'est pour la même raison qu'on se serait bien gardé de laver la tête du bébé: on y entretenait la saleté, sous prétexte de respecter le "chapelet", croûte bienfaisante qui soi-disant nourrissait le cerveau.



Comment on coiffait les enfants au XVe siècle.
Le fils de Charles VIII, d'après le Maître de Moulins.


Dans ce portrait que Charles VIII fit faire de son fils, afin de l'emporter dans son expédition d'Italie, le petit prince est coiffé du bonnet dit "à la française", fait de feutre blanc.


Le premier exemple connu d'une mesure de propreté prise pour la tête d'un nouveau-né remonte au 11 novembre 1601. C'est le jour où le jeune roi Louis XIII, âgé de près de deux mois, eut la tête "frottée" pour la première fois; et, quelques jours après "on lui a frotté le front et le visage avec du beurre frais et de l'huile d'amandes douces, pour la crasse qui paraissait y vouloir venir." On voit que ce fait parut assez remarquable pour qu'on l'inscrivit dans les annales du temps!


Elégances de princes au berceau.

Et c'est toujours pour entretenir au cerveau de l'enfant une chaleur salutaire, qu'on entassait sur sa tête bonnets, béguins, tours de tête, cornettes et têtières.
Ces bonnets d'enfant vont suivre à chaque époque le goût du jour et les indications générales de la mode. Ils auront beaucoup d'analogie avec la coiffure usitée à la même époque pour les grandes personnes. Ainsi nous voyons sur les bas-reliefs byzantins les enfants coiffés d'une sorte de petite mitre de forme conique. Au moyen âge, les enfants ont la tête hermétiquement enveloppée, pour ne laisser paraître que la frimousse éveillée, comme leur mère a les cheveux dissimulés sous la coiffe.
C'est alors, semble-t-il, qu'on imagina de mettre, par dessus le béguin, le bourrelet destiné à préserver la tête de l'enfant dans ses chutes sans nombre. Fait d'étoffe rembourrée d'étoupe, ou tressé de paille, le bourrelet, mal seyant et mal commode, est parvenu jusqu'à nous. Les seuls enfants qui n'en portèrent jamais furent les enfants de France. Sans doute un front destiné à porter la couronne ne devait pas être ainsi ridiculisé. Un prince-bébé était-il donc voué aux plaies et bosses dont le dernier de ses petits sujets étaient préservé? On parait à ce péril en matelassant les meubles et les murs des royales "nurseries".
De quoi ne s'avise-t-on pas pour augmenter le luxe de ces coiffures d'enfants? On les surcharge d'or et de pierreries, au point que Henri II rendit une ordonnance défendant de mettre sur la tête des enfants de moins de deux ans tout bonnet en orfèvrerie "avec émails ou sans émails". Le goût de la parure n'allait rien y perdre, grâce à l'essor imprévu de l'industrie dentellière . Pont de Gênes et point de Venise, nous vinrent à propos d'Italie pour orner les têtes de nos bébés royaux. Un jour de l'année 1640, arrivaient de Rome à Versailles trois caisses recouvertes de velours rouge bordé d'argent, ornées de clous d'argent, fermées par une serrure et des clefs d'argent. A quel grand de la terre étaient-elles destinées? Ce personnage était un marmot. Mais ce marmot devait un jour s'appeler Louis XIV et le donateur était le pape.
Les coffres ouverts, on trouva pour les seuls objets de tête: "2 béguins de point de Gênes, l'un à fil blanc, l'autre à fil peint; 2 béguins de toile de soie avec du point de Gênes, aussi l'un à fil blanc, l'autre peint; 2 têtières, aussi de toile de soie, de deux aunes de long et une de large, ouvrées avec du point de Gênes en chef, d'un quart d'aune, et tout autour d'un demi-quart avec de la dentelle de même point de Gênes, etc."
L'usage était établi, depuis lors, que la layette du Dauphin fut offerte par le Saint Père. Le 7 janvier 1781, tout Versailles est en émoi, la maison du roi est sous les armes, les tambours battent aux champs. De superbes équipages, dont le principal coûte 10 000 livres de location, arrivent de Rome, le nonce en descend et remet au roi Louis XVI et à la reine Marie-Antoinette une layette magnifique: on estime le présent pontifical à 1 500 000 livres.
Contraste cruel du destin! L'enfant, objet de ces pompeuses largesses, devra être le prisonnier du Temple.
Au XVIIIe siècle, on mettait dans une riche layette: 48 béguins, 2 têtières, 24 tours de bonnet de laine, 24 cornettes pour la nuit, 24 bonnets ronds en mousseline ou en dentelle, 6 bonnets de laine. En revanche, cette layette ne comptait que 24 chemises!


Une mode qui a la vie dure.

A la fin du XVIIIe siècle, on commence à vêtit plus légèrement les bébés. Dans le portrait de Marie-Antoinette et de ses enfants par Mme Vigée-Lebrun, le dernier-né, que tient la reine sur ses genoux, est coiffé d'un bonnet tout plat. Le Roi de Rome porta des bonnets de broderies et de dentelles. Mais sous la Restauration on revient à l'épais béguin de velours? Jusque vers ces vingt dernières années, on accumulait encore sur le petit crâne un béguin de toile, un de flanelle, un fait de deux doubles mousselines piquées sur une épaisse couche de ouate. De là est venue l'invention du piqué molletonné.



De nos jours.
Comment on coiffe les enfants en Alsace, en Bresse et en Bretagne.

A côté de l'élégante coiffure pointue en nansouk brodé que portent les enfants d'Alsace, et du léger bonnet bressan, on voit ici deux bonnets bretons. Garni de galons dorés et de perles, le premier est en outre agrémenté d'un sachet à cocarde où la dévotion des mères place souvent un morceau de pain bénit; le second, orné de glands et de houppettes, offre un spécimen de la coiffure des garçons.


1840 est le plus beau temps des bonnets d'enfants. On en faisait de toutes façons, en filet de fil d'Ecosse, en filet de laine de Saxe, en valenciennes, en nansouk brodé.


Bébé d'Auvergne.

Ce léger bonnet de soie en pointe donne un petit air de drôlerie à l'enfant qui le porte, sans surcharger sa tête d'une épaisseur malsaine. La dentelle du pays accompagne ce joli travail de l'aiguille maternelle.


On dépensai couramment une centaine de francs et plus sur un bonnet garni de valenciennes ou de malines; petits plis, jours à la main, choux de rubans sur les oreilles, ruche autour de la tête, on déployait une fantaisie exquise sur ces petits objets. 



Bébés du Vaucluse et du Puy de Dôme.

Pauvres petits! La cape d'indienne, les bonnets et les fichus recouvrent plusieurs béguins de flanelle ou de piqué.


Les portraits des jeunes princes d'Orléans les montrent toujours coiffés de leurs petits bonnets, tandis que le pantalon blanc dépasse la robe de satin. Quoi d'étonnant alors à ce que la classe bourgeoise imite l'exemple parti du haut! Telles commerçantes, riches charcutières ou bouchères du quartier, ne craignent pas d'envoyer leur fillette à la pension, coiffée d'un petit bonnet blanc du prix de 80 francs. Et il fallait le rechange quotidien!



Bébé des Landes.

Déplorable erreur que de surcharger la tête d'un bébé de cet épais capiton de tissu ouaté! La transpiration y amasse une croûte que les bonnes femmes se gardent d'enlever, prétendant que ça nourrit le cerveau!


Bébé jette son bonnet par dessus les moulins.

Cependant des idées nouvelles se faisaient jour et les médecins ne se lassaient pas de protester. Un beau jour, on apprit que le Prince impérial, fils de napoléon III, était élevé "à l'anglaise", sans maillot, jambes nues... et sans bonnet! Ce n'est qu'à cause du protocole que le "petit Prince" eut un bonnet de baptême: ce bonnet était en point d'Alençon, comme le reste de la toilette. 


L'heureux présage.
D'après l'estampe de Moreau le jeune.

Au milieu du XVIIIe siècle, sous l'influence de Jean-Jacques Rousseau, on commençait à adopter des modes plus simple pour les enfants. Voyez comme est fait de peu de chose ce petit bonnet dont la vue inspire au jeune couple, figurant dans cette gracieuse scène, tant d'heureux projets d'avenir!


Depuis ce temps le mouvement s'est accentué, le triomphe est décisif; en vain chercherait-on dans la plus belle layette le moindre bonnet. Toutefois dans les campagnes, les femmes qui ont été nourrices à la ville sont seules à adopter l'usage d'élever les enfants tête nue. Les paysannes couvrent beaucoup la tête de l'enfant: par dessus deux ou trois béguins elles ajoutent encore un bonnet taillé dans un reste de robe, soutaché de galons, garni de perles, allongé de glands, le tout suivant la mode de la province. Préjugé auquel elles renonceront d'elles-mêmes quand on sera arrivé à leur donner quelques saines leçons d'hygiène.
Qui ne connait ces vers que nous avons, étant petits, balbutiés devant nos parents pou quelque jour de l'an ou fête de famille.

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plumes choisies, et doux et fait pour moi... 

Ces vers sont maintenant vides de sens: l'oreiller du berceau n'est plus rembourré que par du crin qui soutient la tête et n'y attire pas le sang. Pour la toilette, la tête est savonnée dans le bain quotidien, puis frictionnée d'une eau de lavande ambrée ou d'une eau de violette fine. C'est tout ce qu'exige la moderne hygiène.




Pour sortir, on met à l'enfant une capote légère qui, à la vérité, est peu seyante au petit front dénudé. Les Anglais à cela ont trouvé un remède amusant. Ils cousent tout autour de la capote d'épaisses boucles blondes ou dorées. Dehors, l'enfant paraît possesseur d'une abondante chevelure: at home, il retrouve la drôlerie de sa tête nue et bien modelée. On ne peut que s'égayer d'un pareil usage; les mères raisonnables se garderont bien de l'appliquer à leurs enfants. Elles leur laisseront pousser les cheveux, respectant leur mouvement naturel, se gardant de les rouler sur de durs bigoudis ou d'y porter le fer chaud. S'ils ne frisent pas tout seuls, contentons-nous que les mèches soyeuses tombent sur le front et autour du cou, comme un cadre tout simple au frais visage de notre cher petit.

Lectures pour tous, septembre 1904.
 



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