mardi 26 septembre 2023

Ceux dont on parle.


Ferdinand de Bulgarie. 


A l'heure où paraîtrons ces lignes, le prince Ferdinand de Bulgarie, sera sans doute proclamé roi. Dix-huit ans de service lui auront valu cet avancement. L'Europe est en voie d'augmenter le nombre de ses rois: la Norvège veut posséder le sien. Pour peu que cette fièvre des grandeurs se propage, nous aurons bientôt un roi de Monaco et un empereur du Portugal.
Si quelqu'un est digne du titre de roi, c'est bien Ferdinand de Bulgarie, qui a eu des débuts fort difficiles et s'est élevé à la force du poignet. En 1887, la haute assemblée bulgare, le Sobransé, le désigna pour diriger ce pays. Fils de la princesse Clémentine, le seul enfant survivant de Louis-Philippe, Ferdinand avait alors vingt-six ans; il était lieutenant de hussards autrichiens. Il ne put entrer en place immédiatement, les puissances signataires du traité de Berlin, qui se sont réservées un droit de contrôle sur les affaires de Bulgarie n'ayant pas voulu, je ne sais trop pourquoi, reconnaître le prince Ferdinand. Celui-ci, qui tenait à sa nouvelle situation, fit de nombreuses démarches, intéressa la Russie à sa cause et finit par triompher.
Mais le succès l'enhardit et Ferdinand recommença ses démarches pour obtenir la permission de troquer son titre de prince contre celui de roi. Les différentes cours d'Europe le virent promener sa candidature inquiète; on dit même qu'il se fit présenter par un peintre de Munich un projet de couronne. Le projet lui plaisait beaucoup, mais jusqu'à ce jour, il n'avait pas pu le faire exécuter.
Cette couronne qu'il ambitionne si fort apportera-t-elle à Ferdinand autant d'avantages qu'il le croit? Ce n'est pas elle, en tout cas, qui écartera de lui les conspirations qui se forment journellement et dont il a, paraît-il, grande frayeur, à tel point qu'il se cachait tout dernièrement à Munich pour échapper aux poursuites de deux révolutionnaires macédoniens très mal disposés à son égard. Il s'est même procuré un sosie par qui il se fait remplacer dans la plupart des cérémonies. S'il est obligé de paraître en personne, il envoie son sosie par devant, de manière à attraper les mauvais coups qui pouvaient être destinés au souverain. Il paraît qu'un jour le résultat fut tout autre qu'on l'attendait et que c'est Ferdinand qui reçut une sévère correction destinée à son suppléant.
Cette peur des bombes n'empêche pas le prince de se livrer à de fréquents déplacements. En neuf ans n'a pas reçu pas moins de cinq fois sa visite, et la manière dont il a fait son entrée cette année dénote un caractère plus audacieux que timide. Un matin, l'Hôtel Continental vit entrer dans ses salons un mécanicien vêtu d'un bourgeron, coiffé d'une casquette, et le visage couvert de suie: c'était le prince Ferdinand et il ne descendait pas, comme on pourrait le croire d'une automobile, mais bien du train de Calais seulement; à partir d'Abbeville, il s'était tenu sur la locomotive, aux côtés du mécanicien, qui aurait peut être bien voulu lui rendre la politesse, particulièrement à l'heure du déjeuner.



Prince ou roi, Ferdinand n'aura jamais que trois millions et demi de sujets: c'est pourtant le second potentat d'Europe, par le poids, le premier étant le Portugal, qui accuse 175 livres. Qui souhaitera sérieusement que ces deux souverains ne pèsent pas sur les destinées du vieux monde?

                                                                                                        Jean-Louis.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 27 août 1905.


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