Le Bargy.
M. Le Bargy souffre de sa célébrité. C'est qu'elle ne lui vient pas seulement du théâtre, mais aussi de ses cravates. Qu'y a-t-il de plus pénible pour un homme intelligent comme lui que de recevoir des compliments sur sa cravate? Torturez-vous donc l'esprit afin d'ajouter un trait noir à la cynique figure du duc de Septmonts pour qu'un niais vienne vous dire: "D'où sortait la cravate que vous portiez hier?" Si M. Le Bargy se fait quelquefois remarquer par sa mise, c'est qu'il est doué d'un cou allongé qui l'oblige à l'entourer de cols et de cravates à sa taille.
Cette publicité le chagrine, car son esprit est supérieur à ces vétilles.
M. Le Bargy a fait son droit. Il avait le goût des lettres et reçut un prix de l'Académie de Picardie pour un éloge de Gresset écrit par lui en vers classiques, et qu'il récita au milieu de l'enthousiasme général. Encouragé par ce succès, le jeune poète fonda un journal: Le Vert-Vert*. On voit que M. Le Bargy n'était pas ingrat envers Gresset. Mais le goût de la littérature commençait à céder la place à celui du théâtre, et voilà M. Le Bargy dans la classe de Got.
Il débute à la Comédie-Française en 1880, à vingt-deux ans. On lui donne de préférence des rôles de comédie grave où il représente souvent un "monsieur antipathique".
Après avoir, pendant nombre d'années, provoqué des applaudissements unanimes par son jeu sobre et adroit, M. Le Bargy sentit que la tête lui tournait de nouveau. Il était las d'exprimer des sentiments mesquins et voulait des rôles tragiques. Déjà il avait joué, non sans succès, le rôle de Don Carlos d'Hernani. On lui confia alors, dans Struensée*, le personnage du roi Christian, dont il rendit à merveille le caractère infirme et rageur. Les compliments ne lui furent pas ménagés. Cependant, M. Le Bargy restait soucieux.
Il se maria. Sa femme, artiste de talent, remporta un grand succès dans le Détour*. Tout Paris se réjouissait, croyant au bonheur de M. Le Bargy. Mais M. Le Bargy n'était pas heureux. Son état devenait alarmant. Mme Simone Le Bargy, pour mieux guetter ses moindres désirs, quitta le théâtre. Le ministre donna la croix au comédien*. Peine perdue: M. Le Bargy continuait à promener dans Paris anxieux son humeur inquiète; il la promena jusque dans le Gaulois et traita ironiquement M. Claretie qui répondit par une mesure sévère: l'exclusion du Comité.
M. Le Bargy soulagea sa colère en envoyant sa démission; mais le calme ne revenait toujours pas dans son âme, et bientôt après il disait à M. Claretie qu'il regrettait d'avoir écrit sa lettre au Gaulois et sa lettre de démission. M. Claretie est désormais averti: il sait qu'il faut user de ménagements avec ce comédien impressionnable.
On dit que M. Le Bargy ne regretterait pas de quitter la Comédie-Française, que le projet de diriger un théâtre voltige dans sa tête. M. Le Bargy n'est pas le seul au Théâtre-Français à avoir cette ambition, et je sais tel tragédien connu qui aspire au fauteuil directorial; Pourquoi ne s'associeraient-ils pas pour exploiter un théâtre où M. Paul Mounet jouerait le Gendre de M. Poirier et M. Le Bargy don Diègue?
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 novembre 1903.
Nota de Célestin Mira:
Le Bargy:
* Le Vert-Vert:
* Struensée:
* Le Détour:
* Décoration:
Il débute à la Comédie-Française en 1880, à vingt-deux ans. On lui donne de préférence des rôles de comédie grave où il représente souvent un "monsieur antipathique".
Après avoir, pendant nombre d'années, provoqué des applaudissements unanimes par son jeu sobre et adroit, M. Le Bargy sentit que la tête lui tournait de nouveau. Il était las d'exprimer des sentiments mesquins et voulait des rôles tragiques. Déjà il avait joué, non sans succès, le rôle de Don Carlos d'Hernani. On lui confia alors, dans Struensée*, le personnage du roi Christian, dont il rendit à merveille le caractère infirme et rageur. Les compliments ne lui furent pas ménagés. Cependant, M. Le Bargy restait soucieux.
Il se maria. Sa femme, artiste de talent, remporta un grand succès dans le Détour*. Tout Paris se réjouissait, croyant au bonheur de M. Le Bargy. Mais M. Le Bargy n'était pas heureux. Son état devenait alarmant. Mme Simone Le Bargy, pour mieux guetter ses moindres désirs, quitta le théâtre. Le ministre donna la croix au comédien*. Peine perdue: M. Le Bargy continuait à promener dans Paris anxieux son humeur inquiète; il la promena jusque dans le Gaulois et traita ironiquement M. Claretie qui répondit par une mesure sévère: l'exclusion du Comité.
M. Le Bargy soulagea sa colère en envoyant sa démission; mais le calme ne revenait toujours pas dans son âme, et bientôt après il disait à M. Claretie qu'il regrettait d'avoir écrit sa lettre au Gaulois et sa lettre de démission. M. Claretie est désormais averti: il sait qu'il faut user de ménagements avec ce comédien impressionnable.
On dit que M. Le Bargy ne regretterait pas de quitter la Comédie-Française, que le projet de diriger un théâtre voltige dans sa tête. M. Le Bargy n'est pas le seul au Théâtre-Français à avoir cette ambition, et je sais tel tragédien connu qui aspire au fauteuil directorial; Pourquoi ne s'associeraient-ils pas pour exploiter un théâtre où M. Paul Mounet jouerait le Gendre de M. Poirier et M. Le Bargy don Diègue?
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 novembre 1903.
Nota de Célestin Mira:
Le Bargy:
* Le Vert-Vert:
Le ver-vert ou les voyages du perroquet de la Visitation de Nevers. Poème de Jean-Baptiste Gresset écrit en 1734. |
* Struensée:
* Le Détour:
* Décoration:
Mme Simone Le Bargy décorant M. Charles Le Bargy. |