mardi 18 décembre 2018

Épitaphes pas banales.

Épitaphes pas banales.

Nous voilà dans le mois des morts! Les tombes, jusque-là peut-être délaissées dans le tourbillon du monde et des affaires, disparaissent sous les fleurs et parmi la foule émue qui apporte un soutien à leurs chers défunts.
Je m'en voudrais certes de troubler cette heure solennelle et pleine de charme à la fois par de gais propos, mais un de nos auteurs ayant dit avec beaucoup de raison qu'on devait toujours allier le plaisant au sévère, je ne puis résister à l'envie de faire passer sous vos yeux quelques épitaphes vraiment curieuses glanées de-ci de-là dans les cimetières de Paris et d'ailleurs.
C'est assurément l'orgueil d'une épouse qui a dicté ces lignes:

Joseph Henry
Premier tambour de basque de France
et artiste d'agilité.
Décédé le 11 décembre 1847
à l'âge de cinquante-trois ans.

Certaines personnes, dans l'égarement de leur douleur, ne craignent pas de traduire leurs regrets en une langue vibrante et passionnée.
Lisez les deux épitaphes suivantes et vous jugerez par vous-mêmes:

Rose-Adeline Roussin
En cercle de la vie aimante, douce et pure,
En esprit lumineux elle nous apparut!
Le ton du beau savoir à sa faible nature
ne pouvant s'accorder, le tout à disparu!

Et plus loin:

Femme Tuclos
A vingt-sept ans
1837
Les restes précieux d'une épouse chérie. Ô toi dont je reçus le premier baiser, toi qui par ta tendresse me fis chérir les charmes de l'hyménée, trop tôt tu finis ta carrière et le sort injuste te ravit à la terre... Dors en paix dans la nuit des temps.

N'est-ce pas tout à fait suggestif?
Enfin je donne en pâture à votre hilarité les deux épitaphes suivantes:

C.-L.-M. Navier
Inspecteur divisionnaire
Attends-moi longtemps.

et cette autre:

Ernest Mouillefarine
Treize jours
Les douleurs de sa famille sont aussi grandes que ses vertus promettaient de l'être!

Et maintenant, si on compare les épitaphes pourtant bien curieuses que je viens de citer avec celles qu'on peut voir dans les petits cimetières de campagnes qui environnent les églises, on les trouvera d'une bizarrerie bien modérée. Ces épitaphes, si on peut s'exprimer ainsi, sont de vrais bijoux dans le genre humoristique, et en les lisant on ne peut s'empêcher d'étouffer un rire discret.
Oyez plutôt.
Voici ce que j'ai pu relever tout dernièrement sur une tombe, dans un petit cimetière du midi de la France:

Mathieu Telvoir
Décédé à l'âge de 60 ans.
A laissé une veuve éplorée de cinquante-cinq ans, une truie et ses trois nourrissons, six oies et douze moutons. Il n'a pas eu le temps de rentrer la récolte et il est mort la veille du jour du marché à X... où il avait plusieurs rendez-vous. Si encore il laissait des fils, mais non, il n'a jamais eu qu'une fille qui n'est pas encore mariée.

Enfin, pour terminer, faisons savourer à nos lecteurs, cette curieuse épitaphe, la perle de notre bouquet funéraire.
Dans un cimetière d'une petite ville anglaise, on peut lire sur la tombe d'un horloger:

Ci-gît
Dans une position horizontale
La carcasse de l'horloger G. Routhledge.
L'intégrité fut le ressort
Et la prudence le régulateur
De toutes ses actions.
Il n'avança ni ne retarda jamais.
Et quand il s'arrêta,
C'est que le grand horloger du monde
Avait oublié
De le remonter.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er novembre 1903.

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