jeudi 11 octobre 2018

Kate Greenaway et Henri Heine.

Kate Greenaway et Henri Kate.

Pourquoi faut-il que Kate Greenaway* ait choisi de faire ses adieux à la vie? Dans vos mines épanouies, dans vos frimousses extasiées, elle eût trouvé de si jolis motifs pour enrichir son incomparable galerie enfantine! Donnez un souvenir dans vos prières à Kate Greenaway, bébés de France et du monde entier mêmement, car la douce Kate était universelle et ne travaillait pas, si travailler il y a, pour les seuls enfants de sa brumeuse patrie. Née à Londres vers 1845, elle ne fit jamais parler d'elle que par les petits chefs-d'oeuvre dont elle illustra vos albums. On ne sait rien ou presque de sa vie. Mais ses légères aquarelles, qui renouvelèrent un art longtemps abandonné à des barbouilleurs de basse qualité, demeureront aussi longtemps qu'il y aura des bébés, des noëls et des jours de l'an.
Élèvera-t-on quelque jour une statue à Kate Greenaway? Si l'idée en venait jamais à nos voisins d'Outre-Manche, je voudrais que la souscription fût limitée aux seuls enfants. C'est de leur reconnaissance affectueuse que devrait être fait ce monument qui revêtirait le plus gracieux internationalisme, deux mots qui n'ont guère l'habitude d'être accouplés. Mais puisque je vous parle monument, il n'est peut être pas sans intérêt de rappeler que Henri Heine* vient d'avoir le sien au cimetière Montmartre. Heine était juif et Allemand; mais c'était le moins juif des Allemands ou le moins Allemand des juifs, comme on voudra, ce qui explique que ni les Allemands ni les juifs n'ont voulu donner un centime pour sa statue. Celle qu'on a érigée au cimetière Montmartre le représente fermant les yeux et prématurément vieilli par le mal. On sait assez, en effet, que pendant près de dix ans, de 1848 à 1856, le pauvre poète fut cloué par la paralysie sur un lit de torture. Dans ces douloureuses conjonctures il trouva près d'une Française, Mathilde Mirat*, qu'il avait épousée en 1841, des soins qu'on n'eût pu attendre d'une femme qui, avant la maladie de Henri Heine, avait fait de son ménage un véritable enfer. Pour un rien, elle entrait dans des colères terribles. "Je loge chez moi la Tempête", disait Henri Heine. Elle avait transformé  la maison du poète en une véritable ménagerie dont les principaux personnages étaient un perroquet nommé Cocotte, trois bolonais à poil blanc, et une cinquantaine de canaris un peu partout dans les volières qui tapissaient tous les appartements.
Dès qu'on touchait à l'un de ces animaux, Mathilde entrait en crise. Henri Heine, au mois d'août 1844, avait fait avec elle, la traversée du Havre à Hambourg pour la présenter à sa sœur "Lolotte" et au mari de celle-ci. On arrive à Hambourg; les parents sont sur le quai; ils accueillent avec bonté Mathilde qui se montre elle-même fort avenante. Mais M. Embden (le mari de Lolotte) en voulant passer une caisse à sa belle-sœur, qui était montée en voiture, se sent tout à coup pincé au doigt et laisse tomber la caisse. Mathilde pousse des cris perçants: la caisse en question contenait Cocotte, son cher perroquet, qu'elle avait amené de Paris.
- A-t-on idée d'une pareille maladresse! criait-elle. La pauvre cocotte qui a déjà tant souffert du mal de mer! Elle va mourir du coup! Bourreau! Assassin!...
On ouvre la caisse. Cocotte, fort heureusement, respirait encore. Les traits de Mathilde se détendirent.
- Mon cher beau-frère, dit Henri Heine à M. Embden, vous avez failli perdre pour toujours les bonnes grâces de Mathilde. Je vous avez prévenu pourtant que je viendrais avec toute ma famille, c'est à dire avec ma femme et son perroquet; mais vous n'avez pas daigné vous apercevoir de la présence de cette petite bête qui, en vous pinçant, s'est rappelée elle-même à votre souvenir.
Si encore Cocotte avait été une bonne bête! Mais c'était le plus méchant, le plus criard, le plus agaçant des perroquets. Il assourdissait littéralement Henri Heine qui n'osait pourtant se plaindre tout haut, crainte de pis. Un jour que Cocotte était prise de convulsions, Mathilde entra toute éplorée dans la chambre de son mari: "Henri, criait-elle en sanglotant, Cocotte se meurt!"- "Dieu soit loué!" grommela Heine en allemand, sachant bien que Mathilde ne comprenait pas cette langue.
La pauvre Mathilde, bonne fille, encore qu'un peu acariâtre, manquait en effet d'instruction première. Tous les efforts qu'avait fait son mari pour lui apprendre l'allemand étaient restés inutiles. Elle n'avait pu apprendre qu'une phrase: Guten tag, mein herr, nehmen sie platz (Bonjour monsieur, voulez-vous vous asseoir), qu'elle débitait à tous les compatriotes de son mari qui venaient lui rendre visite pendant sa maladie et plantait là le visiteur qui demeurait tout interdit d'un pareil accueil, jusqu'à ce qu'on l'introduisit dans la chambre du malade. Le poète lui pardonnait assez bien ce manque d'instruction. Il avait plus de peine à s'accommoder de son inexpérience domestique et des folles prodigalités auxquelles elle se livrait. Il l'appelle dans ses lettres "ma dépensière". Elle le ruinait en robe et en flacons de parfumerie. "Elle est, disait-il, constamment tourmentée par je ne sais quelle manie de jeter l'argent par la fenêtre." Avec tous ces défauts, Mathilde Mirat était, je l'ai dit, fort attachée à Henri Heine. Les soins qu'elle lui prodigua ne se démentirent point un seul instant pendant sa longue et cruelle maladie et peut être, au moment où l'on glorifia  dans le marbre l'auteur des Rieselbider, n'était-il que juste d'associer à sa mémoire la linotte parisienne dont il avait fait sa compagne des bons et des mauvais jours.

                                                                                                                           Tiburge.

Les Veillées des chaumières, 14 décembre 1901.

* Nota de Célestin Mira:

Kate Greenaway:

Kate Greenaway.

Quelques dessins de Kate Greenaway:







* Henri Heine:

Henri Heine.

Tombe d'Henri Heine au cimetière Montmartre.


Augustine Crescence Mirat, vendeuse de chaussure passage Choiseul dans le 2e arrondissement à Paris fut l'épouse de Henri Heine qui la surnomma Mathilde.

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