dimanche 7 octobre 2018

Dame ou demoiselle?

Dame ou demoiselle?


C'est fini: il n'y aura plus de demoiselles en France, il n'y aura que des dames. Ainsi en a décidé une société féministe qui s'appelle le Suffrage des femmes et qui tient ses assises à la marie du XIe arrondissement.
Un communiqué nous apprend en effet qu'"après avoir considéré que les deux dénominations madame, mademoiselle placent la femme dans une condition d'infériorité morale vis-à-vis de l'homme qui, vieux ou jeune, marié ou non, est toujours appelé monsieur, la société du Suffrage des femmes, en sa réunion à la mairie du XIe arrondissement, a décidé que l'expression madame devait être employée pour désigner, sans distinction d'âge ni d'état civil, toute les personnes du sexe féminin."
O chimère de l'égalité! Faut-il le dire pourtant? La réclamation du Suffrage des femmes n'est point aussi neuve qu'on serait tenté de le croire. Elle a un précédent et qui remonte au mois de juin 1869. A cette époque, une femme de lettres, non enchaînée encore par les liens de l'hymen, ce qui ne l'empêchait pas de signer Mme Clémence Royer, écrivait à l'un de ses correspondants: "Je m'empresse de vous prévenir que rien de ce qui m'est adressé sous le titre de Mademoiselle ne me parvient ou reçoit de réponse, étant retourné, quand faire se peut, aux expéditeurs. L'appellation de Mademoiselle convient tout au plus aux jeunes filles en jupe courte et aux mineures soumises à l'autorité parentale." 
En terminant, Mme Clémence Royer invoquait l'exemple classique de Molière, de Racine, de Corneille donnant du madame aux Chimène comme aux Pauline, aux Hermione comme aux Andromaque, et elle concluait en invitant ses contemporains à reprendre cette tradition de notre vieille urbanité, "jusqu'au jour où le public reviendrait de lui-même au titre si honorable et si simple de citoyen et de citoyenne."
Nil novi sub Jove. En réalité, jusqu'à la Révolution, il était d'usage d'appeler madame toutes les femmes de qualité; les bourgeoises, au contraire, même mariées, s'appelaient mademoiselle. Cette distinction s'expliquait fort bien, demoiselle venait de dominicella, diminutif de domina, qui a donné dame.
C'est de nos jours seulement qu'on a réservé le nom de demoiselle aux femmes non mariées, et je cherche encore ce qui peut froisser là nos féministes, puisque l'usage ne distingue plus entre les princesses et les épicières.

Les Veillées des chaumières, 14 décembre 1901.

Nota de Célestin Mira:



Clémence Royer.



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