lundi 12 mars 2018

La punition des mauvaises langues.

La punition des mauvaises langues.


M. Auguste Stœber, conservateur du musée historique de Mulhouse, est l'auteur d'une très intéressante étude sur un instrument de supplice, aujourd'hui hors d'usage, mais qui existerait encore audit musée, par exemple, et simplement à titre de document archéologique: c'est la "pierre des bavardes"*
La pierre des bavardes, ou des mauvaises langues (der Klapperstein), enchaînée au mur de l'hôtel de ville, représente une tête grimaçante, les yeux écarquillés et tirant la langue*; elle pèse environ 12 kilos. Un quatrain en langue allemande indique à quel usage elle servait; en voici la traduction:

On m'appelle la pierre des bavardes,
Bien connue des mauvaises langues
Quiconque se plaira à discuter et à quereller
Me portera par la ville.

Sous l'ancienne république de Mulhouse, et longtemps auparavant, la commère surprise en flagrant délit d'injures ou convaincue de noire médisance, était condamnée, outre l'amende, à se promener par la ville, le Klapperstein attaché au cou et suivant un trajet déterminé, accompagnée de gens de police sonnant de la trompe et de l'insultée qui avait le droit de la larder avec un aiguillon, par manière d'encouragement. Un écriteau publiant son crime était, de plus, attaché sur son dos.
Il arrivait, parfois,  que deux femmes se trouvaient condamnées à la fois. Dans ce cas-là, Mulhouse n'ayant point le double de cet objet original, l'une portait le Klapperstein jusqu'à un certain endroit où l'autre venait l'en décharger, pour accompagner à son tour la pénitence qu'elle avait encourue.
Cette coutume était fort ancienne. M. Stœber a retrouvé, en effet, dans le fouillis des vieilles lois germaniques, une disposition aux termes de laquelle toute femme qui "disait vilenie à une autre" était condamnée à l'amende et à parcourir la ville avec une ou deux pierres suspendues à son cou par une chaîne. Cette grotesque pénalité était en vigueur, dans la petite ville d'Argonne du moins, dès la première moitié du XIIIe siècle.
Elle l'était également un peu plus tôt ou un peu plus tard, dans toute l'Allemagne, dans les Flandres et les pays scandinaves; mais c'est en Allemagne qu'elle paraît avoir été le plus universellement répandue.
On y voit l'instrument de supplice changer de forme et de nom suivant les lieux: ici, il affecte la forme décevante d'une bouteille, et prend en conséquent le nom de Bütterflasche, c'est à dire bouteille du bourreau; là, c'est la pierre du crapaud (Krötenstein); ailleurs, le violon (Friedel) ou le sifflet (Pfeife); plus loin, la pierre d'ignominie (Sehandstein) ou la pierre du vice (Lasterstein).
Mais il n'est pas sûr que toutes ces "pierres" fussent destinées à punir l'unique délit de médisance; nous sommes, au contraire, quoique sans preuves authentiques, porté à croire qu'elles servaient au châtiment de toute une variété de délinquants. Pourquoi, par exemple, la bouteille du bourreau n'aurait-elle pas servie à punir l'ivrognerie?...
Pour nous en tenir au Klapperstein, ajoutons que l'usage s'en est perpétué à Mulhouse jusqu'à la réunion de cette république à la République française en 1798.

                                                                                                                                O. Renaud.

Journal des Voyages, dimanche 31 juillet 1887.


* Nota de Célestin Mira:

La pierre des bavardes à Orléans.


La carte postale ci-dessus représente la "pierre des bavardes", en usage du XIVe au XVIe siècle, destinée à punir les commères d'Orléans. (Archives municipales d'Orléans.)






Une commère d'Orléans portant la "pierre des bavardes" au cou. (http://archives.orleans-metropole.fr/a/3395/la-pierre-des-bavardes/)







La pierre des bavardes de l'hôtel de ville de Mulhouse.




Klapperstein de Mulhouse.

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