mardi 13 février 2018

Les petits ramasseurs de crottin.

Les petits ramasseurs de crottin.

Pièce à dire par Armand Masson.






I

Les samedis, jours des marchés
Les maquignons, les maraîchers
Sur leur carrioles juchés,
Les paysannes
Et paysans des environs,
En bonnets blancs et chapeaux ronds, 
Au trot sec de leurs percherons
Ou de leurs ânes;




II

Les gros fermiers menant bon train,
Marchands de bœufs, marchands de grains
Dévalent vers le champ forain,
Et, sur leur trace,
Les attelages derrière eux
Laissent, le long des chemins creux,
Un semis de crottin poudreux
De place en place.





III

C'est le fumier des pauvres gens:
Aussi, dès l'aube, diligents,
Les infirmes, les indigents
Et les aïeules
S'en vont glaner comme un trésor
Le crottin roux, pailleté d'or
Qui féconde la terre où dort
L'espoir des meules.





IV

Les plus âpres sont deux marmots,
Deux tout petits frères jumeaux.
Effrontés comme des moineaux
Et comme eux prestes;
Partis dès le soleil levant,
C'est eux qu'on voit toujours devant,
Et les autres en les suivant
N'ont que leurs restes.





V

Ils ont bien ensemble douze ans; 
Ils ont les yeux vifs et luisants
Et l'air futé des paysans
A la maraude;
Leurs cheveux pâles sont d'or vert,
Et, par leur pantalon ouvert,
La bise, fouette à découvert
Leur chair rougeaude.





VI

Avec leur panier plus lourd qu'eux
Ils détalent les petits gueux
Et leurs coups de balai fougueux
Font place nette.
Les autres peuvent retourner:
Inutile de s'obstiner...
Seule, après eux, trouve à glaner
La mère Annette.





VII

Ils sont pour elle complaisants,
Et les deux petits paysans
Prennent en pitié ses vieux ans,
Ses vieilles jambes;
Car la pauvre en a bien besoin
Pour cultiver son petit coin;
Eux, ils iront un peu plus loin,
Ils sont ingambes.





VIII

Et quand elle les suit de près,
Pour elle, ils laissent tout exprès
Les plus beaux tas de crottin frais
Sur son passage;
Et cette aumône du glaneur
Vaut bien celle qui fit honneur
Au Patriarche moissonneur
Booz, le sage.


                                                                                                    Armand Masson.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 14 juillet 1907.

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