mardi 13 février 2018

Chronique du 25 avril 1858.

Chronique du 25 avril 1858.


Vous voyez souvent sur les places publiques de Paris de ces petits marchands de grands hommes, qui portent sur la tête une planchette, aux chevilles de laquelle sont plantés Voltaire, Rousseau, Béranger, Lamartine et autres.
Le nommé H..., exerçant cette profession, trouva un jour sur le boulevard Montparnasse un portefeuille contenant trente-deux billets de 1.000 francs. Sa première pensée est qu'il pourra désormais prendre le café et le petit verre tout à son gré. Aussi il plante là Voltaire et Rousseau, et va s'installer dans un débit de boissons, où le café coûte 15 cent, la demi-tasse, et, coule pour lui le moka du cabaret.
En même temps, il entend dire que la perte d'un portefeuille contenant 32.000 francs a été éprouvé par un propriétaire logé telle rue, tel numéro, qui venait de toucher le prix de ses loyers. Le café avait mis H... en gaieté, puis la pensée de faire enrager un propriétaire a quelque charme par elle-même; il escalade donc le mur à moitié et lance le portefeuille vide dans le jardin de son possesseur.
En effet, le monsieur passa par les émotions les plus violentes en retrouvant son portefeuille, puis en voyant ensuite que non-seulement on l'avait volé, mais qu'on se moquait de lui. Il alla naturellement raconter ses peines au commissaire de police. Celui-ci prévenu, d'autre part, de l'océan de café absorbé par H..., et ne jugeant pas qu'il pût trouver l'argent pour le payer dans les poches de ses grands hommes de plâtre, a fait arrêter le marchand ambulant.
Le larron a rendu le reste des fonds, et s'est vu condamné à six mois de prison pour les mille francs à peu près qu'il avait déjà laissés écouler chez le limonadier.

Que les femmes se défient désormais des hommes qui les suivent de trop près; elles verront, par l'exemple suivant, que ce n'est pas toujours pour leur conter fleurette.
Tout le quartier de l'Abbaye Saint-Germain connaît madame Thérèse B... jolie créature, toute petite, toute mignonne, une vraie vignette anglaise. Jeudi dernier, elle était suivie, de la rue Dauphine à la place de la Bourse par un jeune homme de l'aspect le plus distingué et de la mise la plus élégante. Cette obstination du jeune homme à suivre ses pas avait été remarqué par Thérèse, dont la vanité (quelle est la femme qui n'en a pas un peu) était flattée. Suivre une femme, en langage parisien, cela veut dire: Je vous trouve charmante, et je ne puis me décider à vous quitter. Madame B... n'y voyait pas autre chose que la vérité... vérité qu'elle est habituée à s'entendre dire souvent. Mais tout à coup on la vit jeter la main au côté de sa robe, la serrer fortement et s'écrier: Je le tiens le bras du voleur! Des agents accoururent, saisirent le bras indiqué et virent qu'en dépit de toutes les traditions, c'était au porte-monnaie de la jeune femme que le beau jeune homme en voulait.
Celui-ci est un Anglais nommé John C. Depuis longtemps déjà, John C. exploitait les jeunes femmes de Paris, lorsque sa mésaventure est venue l'envoyer au dépôt de la préfecture de police.

Il se produit en ce moment un fait merveilleux dans une commune des environs de Lourdes.
Une très jeune fille, Bernadette Savi, fille d'un simple ouvrier, se rend tous les matins dans une grotte située au centre d'un rocher d'où jaillit une fontaine venant des eaux du Gave; elle y fait sa prière, et au moment où dix heures sonnent, elle prétend voir apparaître la Vierge Marie. A cet instant, la jeune fille est très-pâle et laisse voir des crispations nerveuses dans tout son être. Cet état cesse bientôt, et elle reprend son calme accoutumé.
Plus de cinq mille personnes se pressent tous les matins autour de la jeune fille; et l'autorité se préoccupe assez de cette espèce de miracle pour vouloir en connaître la vérité.
Nous citons ce fait pour montrer que dans ce siècle, qu'on dit incrédule, la foule est transportée par la seule pensée d'apercevoir quelque trace d'un incompréhensible phénomène religieux.
A la même école de village où va cette jeune fille, les enfants sont très-avancés en religion, comme on peut le voir par les deux réponses suivantes:
"- Pourquoi, demandait la sœur à une des petites élèves, prions-nous le bon Dieu pour le pain quotidien, au lieu de le demander pour toute la semaine?
-Dieu ne voudrait pas, répondit l'enfant, parce que le pain se gâterait."
Le frère, de son côté, faisant répéter le catéchisme à un petit paysan, lui demanda:
"-Qu'est-ce que la charité?"
Le garçon ne répondant rien, la maître renouvelle sa demande en lui tirant les oreilles;
"-Vous ne le savez pas vous-même, répliqua alors le petit drôle, car vous ne me tireriez pas les oreilles."

M. le maire de Douai, dit-on, vient de prendre un arrêt qui rend passibles des tribunaux les gens trouvés au dehors en état d'ivresse. Si cela est vrai, ce maire est le premier philanthrope du monde; il tient à délivrer le peuple du vice le plus hideux qui puisse s'y voir.

                                                                                                                      Paul de Couder.

Journal du Dimanche, 25 avril 1858.

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