mardi 16 janvier 2018

Cathédrale de Rouen.

Cathédrale de Rouen.


L'église cathédrale de Rouen, dont la fondation est très ancienne, n'a été entièrement achevée qu'au commencement du XIIIe siècle, sous la direction de l'architecte Enguerrand. Depuis cette époque, des restaurations et des changements opérés au-dedans et au-dehors de cette basilique ont singulièrement influé sur sa structure, qui est mixte, et participe des différents styles gothiques affectés aux monuments des XIIIe, XIVe, XVe et XVIe siècles.
La tour de Saint-Romain dont la base parait remonter à des temps fort reculés, a deux cent trente pieds de hauteur. A l'opposite est une autre tour également haute, nommée tour de Beurre, parce que, dit-on, elle fut bâtie des deniers payés par les habitants pour obtenir une dispense qui leur permit de faire usage du beurre durant le carême.
Dans cette tour était la fameuse cloche nommée George-d'Amboise, pesant trente cinq mille livres, selon l'astronome Lalande. Le diamètre de cette cloche était de huit pieds trois pouces, selon le P. Mersenne, et la poire de son battant, qui pesait mille huit cent trente huit livres, se voit encore à la porte d'un serrurier de Déville, près de Rouen; elle a dix sept pouces d'épaisseur. Elle fut fondue en 1501, et sonnée en volée, par seize hommes, le 16 février 1502. On prétend que cette cloche était la seconde de l'Europe: la plus grande, qui était à Moscou, ne fut jamais élevée de terre. La cloche George-d'Amboise, fêlée en 1786, lors de l'entrée de Louis XVI à Rouen, a été brisée pendant la révolution et convertie en monnaie.
Intérieurement, la longueur de l'église, depuis le grand portail jusqu'au fond de la chapelle, est de quatre cent huit pieds; cette chapelle en a quatre-vingt- huit, le chœur cent dix et la nef deux cent dix. 






 La largeur de la nef, sans y comprendre les sous-ailes ou collatéraux, est de vingt-sept pieds, et la hauteur de quatre vingt quatre. Les collatéraux, y compris les chapelles, ont chacun vingt huit pieds de large, et quarante-deux pieds de haut. La croisée, depuis le portail des Libraires jusqu'à celui de la Calande, est longue de cent soixante-quatre pieds sous clef de voûte, soutenue par quatre grands piliers, portant chacun trente-huit pieds de tour, et composés  de trente colonnes, groupées en faisceaux; Il y en a encore trente quatre autres principaux, savoir: dix de chaque côté de la nef, à neuf pieds six pouces de distance l'un de l'autre, et quatorze pour le chœur. Ceux-ci sont de figure ronde, et ont un peu moins de diamètre que les autres; en sorte que le chœur est d'environ quatre pieds plus large que la nef. Le vaisseau entier est éclairé par cent trente fenêtres.





En 1822,  la foudre est tombée sur ce monument et en a incendié la flèche et les combles. Une notice fort remarquable a été publiée sur cet événement par M. E.-H. Langlois.
Dans la soirée du samedi 14 septembre, dit cet écrivain, de fréquents éclairs sillonnaient l'horizon dans un ciel fort nébuleux, qui, malgré la fraîcheur de l'air, menaçait d'un prochain orage; pendant la nuit le tonnerre se fit même entendre dans l'éloignement; mais le matin suivant, à cinq heures, au milieu d'une détonation épouvantable et d'une lueur extraordinaire, la foudre vint frapper la pointe de la pyramide de Robert Becquet, et, la circonscrivant en spirale avec son impétuosité ordinaire, parut s'abîmer dans la partie inférieure des colonnades.
L'incendie se manifesta d'abord vers la base de l'aiguille, et son foyer apparent produisait alors à peine à l'extérieur l'effet d'une petite lanterne.
Peu de moments après le coup de foudre, une foule innombrable d'oiseaux de nuit et de choucas ou corneilles de clocher s'échappèrent en grandes colonnes et en poussant de grands cris, par toute les ouverture des plombages et celles de la tour de pierre même.
La multitude des oiseaux qui avaient leurs repaires dans ce clocher était si prodigieuse, que l'escalier de pierre qui conduisait à la flèche était dans sa partie la plus obscure encombrée de leurs ossements et de ceux dont les buses, les émouchets, etc., avaient fait leur proie. La charpente était à plusieurs endroits tapissée d'aires et de nids, et les planchers et les enrayures regorgeaient de brindilles, de paille, de foin, de coton, de laine, et d'autres matières combustibles qui durent être allumées presque simultanément par la foudre.
Un vent frais soufflait du nord-est, et paraissait acquérir à une certaine élévation un cours plus rapide.
Cependant le tocsin avertissait de toutes parts les habitants de Rouen du danger de leur métropole. Mais les progrès de l'embrasement, la hauteur immense du foyer, l'impossibilité d'y faire promptement et sûrement arriver des secours, la pyramide vomissait déjà de toutes parts de longs jets de flammes parmi les tourbillons de fumée que l'oxyde des plombs en fusion colorait d'un vert livide; tout forçait les assistants à rester, malgré leur vive impatience, spectateurs oisifs de ce déplorable événement.
A sept heures, la flèche entière, longue de cent huit pieds, se renversa vers le sud-ouest, point de son inclinaison naturelle, et, s'arrachant de sa base, tomba sur l'angle de la rue de la Calende, y resta suspendue deux ou trois secondes, puis écrasa une maison de fond en comble avec un fracas épouvantable.
L'incendie présentait alors le plus formidable spectacle, car, à peine cette partie culminante de la pyramide était-elle tombée que, dégagées d'un obstacle qui réprimait aussi l'action de l'air, les flammes se déployèrent avec la plus grande fureur; les galeries se déchirèrent, les colonnes armées de fer, les arcades tout entières se détachèrent de toutes parts, l’œil s'égarait dans leurs traces enflammées; les voûtes du temple, accablées sous cette grêle horrible, simulaient par leurs mugissements redoublés le bruit d'une violente canonnade. Entre huit et neuf heures enfin, il ne restait plus rien au-dessus de la tour de pierre qu'un immense bûcher, au milieu duquel bouillonnaient des torrents de métal que les gargouilles vomissaient en ardentes cascades.
Les débris enflammés de la pyramide, qui s'étaient dans leur chute arrêtés sur les galeries et sur les combles de la croisée, avaient propagé l'incendie vers les autres points de ce grand monument, et les flammes dévoraient avec une telle activité les charpentes des combles, que, vers neuf heures, le toit tout entier du chœur et ceux de la croisée s'écroulèrent avec le tiers de celui de la nef.
Le pinceau le plus exercé ne rendrait que faiblement les effets terribles dont la principale crise de ce nouvel embrasement fut accompagnée. Dès que le toit du rond-point se fut écroulé sur son centre, une gerbe de flammes dont la base occupait tout le diamètre des voûtes, jaillit dans les airs à une hauteur prodigieuse, à travers une immense colonne de fumée qui s'élevait vers le zénith en roulant des milliers de spirales des couleurs les plus variées. On y voyait tantôt confondus, tantôt successivement dominants, le vert, l'amaranthe, le jaune le plus brillant et le noir le plus sombre. Cet affreux et magnifique spectacle se détachait, ainsi que le foyer supérieur de la pyramide, sur un ciel d'un ton d'ardoise dont l'obscurité ajoutait à l'éclat pétillant des feux de l'incendie.
On ne parvint qu'après plusieurs jours à réprimer entièrement l'incendie et à assurer la conservation d'un des plus beaux édifices gothiques de l'Europe.
Depuis cette catastrophe, la ville était en quelque sorte défigurée; elle avait perdu un de ses traits les plus caractéristiques. La proposition de rétablir l'aiguille détruite a été adopté par le conseil municipal, et M. Alavoine, architecte d'un talent très remarquable, a soumis un plan de reconstruction dont l'exécution est déjà très avancée. L'aiguille sera composée de pièces de fonte sorties des fourneaux de MM. Roi et Duval, à Conches (Eure), entre Breteuil et Evreux.

Le Magasin pittoresque, première livraison, 1833.

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