vendredi 20 octobre 2017

L'araignée, bête prophétique.

L'araignée, bête prophétique.


Aimez-vous les araignées? Il ne s'agit pas de savoir si vous les appréciez comme aliment, ainsi que le faisait Lalande, d'après la tradition. (Encore, il n'est pas bien certain qu'il les croquât: ces jours derniers, j'ai lu je ne sais où, Chronique médicale? ou bien plutôt dans Mon Dimanche?, je ne sais pas, que ce que Lalande faisait passer pour des araignées n'était que des bonbons de forme particulière, ressemblant à ces animaux.)
Les opinions sont très partagées. Il y a des personnes qui les redoutent, sans savoir pourquoi d'ailleurs. Les gens sensés n'ont pas ce sentiment et protègent volontiers l'araignée, qui nous débarrasse des mouches et de divers autres insectes malfaisants. Le populaire varie dans ses appréciations. Tantôt il l'aime, tantôt il ne l'aime pas. Le matin, elle signifie chagrin, et le soir, elle signifie espoir. Il est bien certain qu'elle dit vrai, car il n'est pas de jour où l'on ait quelque ennui, grand ou petit, qu'on ait vu une araignée ou non d'ailleurs; et il est de la nature humaine, même sans avoir aperçu d'araignée le soir, d'espérer que le lendemain sera meilleur. Cela aide à vivre. Le plus souvent, dans le folk-lore, l'araignée est d'un bon présage.

Elle indique le futur mari.

M. Sébillot rappelle ce dicton du quinzième siècle: 
"Quand un homme trouve sur sa robe une yraigne, c'est signe d'estre ce jour moult heureux."
D'après d'autres, anciens aussi, les araignées étaient considérées comme portant bonheur dans les étables: en Limousin, dans les Cévennes, elle préserve les bêtes du gripé, lequel est un lutin remplit d'intentions mauvaises; en Lauraguais, en Anjou, en Provence, elles "absorbent le venin" des étables; en Poitou, elles purifient l'air. Dans les Vosges et en Berry, la réputation qui leur est faite est bienfaisante aussi. Mais on n'y met pas tant de mysticisme. On les respecte parce que leurs toiles capturent les insectes piquants et irritants qui tourmentent le bétail et lui inoculent des maladies. C'est en effet de la sorte que l'araignée peut "absorber le venin " et purifier l'air.
Au total, l'opinion populaire est plutôt favorable à l'araignée, à la bête industrieuse et patiente, qui s'en tient à dévorer des insectes nuisibles, sans s'attaquer à nos provisions et autres possessions. Cette bête, au reste, est prophétique.
En pays girondin, elle indique le point cardinal d'où viendra le futur mari. C'est dire que cette utilisation de l'araignée est réservée aux jeunes filles. La manière de faire est bien simple. On met la bête entre les deux mains, on l'agite, et il est entendu que "du côté que le derrière se trouvera, la gouyate (jeune fille) s'y mariera." Rien n'est plus facile, rien n'est plus clair.
Mais ce n'est point des vertus matrimoniales de l'araignée qu'il s'agit. Je dis bien "matrimoniales" et non "conjugales", car il serait difficile de qualifier de vertu l'usage qu'ont les araignées du sexe faible, aussitôt après leur mariage, de dévorer leur époux, qui d'ailleurs se laisse faire. Tout au plus pourrait-on voir là de l'économie domestique poussée à des limites excessives. Mais laissons là les mœurs conjugales de l'araignée. C'est de leur psychologie qu'il s'agit.

Les araignées mélomanes.

M. Lécaillon vient de lui consacrer des pages intéressantes dans la Revue scientifique. On ne se livre pas à l'étude scientifique de quoi que ce soit sans que quelque dogme ou quelque tradition en sorte estropiée.. c'est ce qui fait, et c'est là que je voulais en venir,  que la doctrine qui veut que les araignées aiment la musique ne tient guère plus debout que celle que les abeilles ont le culte de la justice.
Pourtant il est manifeste que la musique a une action sur les araignées. Beaucoup de personnes ont observé que des araignées accouraient dès qu'on jouait ou chantait. J'en ai connu une, il y a bien longtemps, qui arrivait régulièrement. Ce qui lui donnait le plus de plaisir, ou du moins ce qui l'impressionnait le plus, était à coup sûr la musique vocale, et plutôt la voix féminine que la masculine. Mais ceci n'est pas un caractère général. L'araignée de Grétry avait du goût pour le piano principalement; celle de Pellisson pour la musette. D'autres ont manifesté des sentiments flatteurs à l'égard de la harpe et du diapason. Il leur faut, dit M. Lécaillon, un son qui ne soit pas trop intense. Seulement, dit notre naturaliste, ce n'est pas du tout l'amour de la musique qui est en jeu. Ce qu'il y a, c'est que l'instrument ou la voix produit un mouvement vibratoire qui agit mécaniquement soit sur l'ensemble du corps, soit sur l'un ou l'autre de ses appareils sensitifs. Ce mouvement vibratoire ne fait qu'un avec la vibration de la toile à laquelle un insecte s'est pris ou avec le bourdonnement que fait celui-ci dans ses efforts pour se dégager.
Donc, rien d'esthétique dans cette affaire. L'araignée n'accourt point pour jouir de l'harmonie ou de la méthode: elle pense seulement avoir entendu sonner la cloche du dîner. C'est autre chose.


Elles ne mangent pas leur mari.

Ceci sans doute fera baisser l'araignée dans l'estime de beaucoup de personnes. Essayons de la faire remonter, par un autre chemin. J'ai rappelé plus haut le fait, souvent déclaré par les naturalistes, qu'à peine en posture de devenir mère féconde, l'araignée femelle n'a d'autre souci que de dévorer son époux.
"Il n'existe pas, dit Romanes, dans tout le règne animal d'autre exemple d'un mâle qui risque tant à ses assiduités."
Et pourtant l'exemple des pères n'instruit pas les enfants (il est vrai, les enfants n'en savent rien: la mère leur dit sans doute qu'il est "en voyage"), car l'espèce continue; Tout cela est fort curieux. Mais, demande M. Lécaillon, est-ce vrai? Avant de philosopher sur un fait, il convient d'être sûr qu'il est bien un fait, que la base est exacte, certaine. Hélas! elle ne l'est point. M. Lécaillon, sans s'occuper des observations qui ont pu être faites par les uns ou par les autres, dans des conditions qui ne sont pas indiquées, et où des éléments perturbateurs pouvaient existent, dont les observateurs n'avaient aucune connaissance.
M. Lécaillon a expérimenté. Il a installé une agence matrimoniale pour araignées, et chez les différentes espèces dont il s'est servi, il n'a rien vu des horreurs qui courent tant de livres consacrés aux mœurs des araignées. 
Une fois, ayant réuni deux agelena labyrinthica, et ayant constaté bientôt, à des signes non équivoques que le futur était agréé, il a vu la femelle courir brusquement à la suite du mâle; mais elle a vite cessé la poursuite, et les deux bêtes ont continué à vivre ensemble sans le moindre drame. La femelle a couru, voila tout. Avec de l'imagination, on peut interpréter cela de façon très défavorable à la femelle; mais cela pourrait aussi s'interpréter d'une façon tout autre, et très favorable pour le mâle sans ternir la réputation de son épouse.
Avec deux autres espèces, tout ce que M. Lécaillon a vu, c'est que pas un geste hostile n'a échappé à madame: les deux époux sont restés ensemble très sages, très calmes, sans aucune velléité cannibalesque.
Voila donc vengé l'honneur de l'araignée. Sans doute, il lui manque l'amour de la musique, mais par contre ce n'est plus l'épouse affamée et utilitaire que l'on croyait. Elle est même attachée à son mari; M. Lécaillon a été témoin qu'elle le lui prouve et il le certifie. Tout est bien.
Après tout, l'animal sort de cette enquête plus naturel qu'il n'était, plus conforme à la règle générale, tant par ce qu'il n'est pas que par ce qu'il est.

                                                                                                         Henry de Varigny.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 15 novembre 1908.

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