lundi 28 août 2017

Le linge.

Le linge.


Avant les rubans, les chapeaux et les robes, ce qu'une femme aime et recherche tout d'abord, c'est le linge. Voyez-là s'arrêter devant un magasin de lingerie: d'un coup d’œil, elle embrasse l'ensemble de l'étalage, puis elle se penche vers l'un des objets exposés, s'en approche aussi près que possible, passe à un autre, revient au premier et résiste difficilement à la tentation d'entrer, d'essayer et d'acheter. A nous autres, femmes, il faut non-seulement du beau linge, mais encore beaucoup de linge. Nous avons pour lui le culte du collectionneur pour ses bibelots. C'est avec bonheur que nous le comptons pour l'empiler et le ranger ensuite dans l'armoire, tout orné de ses faveurs bleues et roses.
En province, c'est l'amour du linge qui engage les dames à surveiller elles-même leur lessive. Elles ne confient à personne le soin de ramasser sur la haie du jardin les serviettes et les draps; elles les étirent elles-mêmes, les plient soigneusement sur la grande table de la salle à manger, et les serrent avec un ordre méticuleux sur les rayons embaumées des hautes armoires de chêne. Le goût du linge est répandu jusqu'au fond des campagnes, où les ménagères sont si fières de leurs beaux draps aux teintes bisées, et de ces longues pièces de toile dont on ne se sert jamais, et qui ne voient le jour qu'au printemps, lorsque déroulées au soleil, on les étend, orgueilleusement sur la pelouse du verger, afin que les voisines n'en ignorent.
A Paris, le luxe du linge tend à devenir trop raffiné. C'est un écueil, et toute femme qui se respecte doit éviter ces raffinements de mauvais goût. Ce qu'on nomme le linge de maison doit toujours conserver sa classique simplicité. Les dentelles et les broderies ne lui conviennent pas; sa richesse doit consister uniquement dans la finesse du tissu; pour les draps, le seul luxe permis est un large ourlet à jours avec un écusson à l'un des coins. La taie d'oreiller cependant échappe à cette loi sévère. On la poétise en la garnissant soit d'un volant festonné, soit d'une guipure, soit encore d'une haute et légère broderie anglaise, qui encadre gracieusement la tête et permet à une jolie convalescente de recevoir avec une certaine satisfaction de coquetterie, les premières visites de ses amis.
Le linge de table damassé, en toile de Hollande, est le plus recherché, et se marque, suivant le goût, au coin ou au milieu. Dans quelques magasins, les chiffres des initiales sont tissés dans la trame même. C'est un raffinement encore, mais cette fois un raffinement très-légitime, très-heureux, qui nous donne une jouissance toute intime et bien féminine. Il semble que depuis l'heure où les écheveaux qui ont servi à tisser chaque pièce se sont enroulés autour du fuseau, la fileuse les a évidés expressément pour notre usage; que, pour nous seules, les bobines ont tourné, et que pour nous aussi personnellement, le tisserand a lancé la navette entre les fils de la chaîne.
Après le linge de maison, le linge de corps. La Française, la Parisienne surtout, apporte une exquise coquetterie dans la confection de son linge particulier. Il n'est plus, le temps où nos grands mères ne connaissaient et ne portaient que la chemise de toile, fermée par une solide coulisse à la paysanne! à présent, il faut des guipures, des valenciennes, des ruchés, etc. La femme la plus simple comprend difficilement qu'on puisse porter autre chose qu'une chemise festonnée, et il n'est pas rare de voir une modeste robe d'alpaga noir découvrir, en se relevant, un jupon blanc, plissé ou tuyauté. C'est un charme, mais là aussi il y a un luxe de mauvais goût à éviter. Une femme comme il faut se contentera d'une toile de batiste bien fine, bien blanche, avec une mignonne guirlande brodée, courant légèrement autour des épaules. Quant aux robes de nuit, les manchettes et les jabots revenus à la mode, sont dans ce genre ce qu'il y a de plus convenable, surtout avec l'accompagnement d'un large col à la Collin, laissant au cou toute sa grâce avec toute sa liberté.
Quant au jupon, un peu de coquetterie ne lui messied pas... Peu de dentelles cependant, et seulement à la valenciennes; mais des plissés hauts et petits, des plis mignons surmontés d'entre-deux légèrement fleuris, ou de très-haute broderies anglaises. La première beauté du jupon consiste dans son extrême blancheur, et c'est ce qui fait que, malgré de nombreux effets de la mode, le jupon de couleur le plus élégant ne parviendra jamais à détrôner le plus modeste jupon blanc.
Un détail qui ne doit pas être négligé, et qui est le complément de toute toilette féminine, c'est le mouchoir. Le mouchoir a sa physionomie particulière. Il en a même plusieurs: simple avec un large ourlet à petits jours; c'est le fidèle compagnon de la vie d'intérieur. Triste, aux jours de deuil, avec sa large raie noire, il devient coquet et sémillant lors qu'une légère bande ou une vignette de couleur l'accompagne et l'harmonise avec une fraîche toilette de printemps. Enfin, il se montre dans tout son éclat, lorsqu'il se compose d'un imperceptible carré de fin linon agrandi par une haute et riche dentelle.
Actuellement la dentelle joue un rôle très-important dans la confection de la lingerie féminine.
La règle des cols plats, des manches piquées, emprisonnant le poignet, est passé complètement; il a fait place aux dentelles, un moment abandonnées. Nous voyons revenir les larges parures à la Marie-Antoinette, qui ornent si avantageusement un corsage entr'ouvert; les fraises bouillonnées, les hautes collerette à la Gabrielle d'Estrées, les nœuds coquets, les amples manches à sabots, découvrant le bras et permettant aux belles dames de tirer, du fond de leur carton, toutes ces délicieuses choses, dont les noms même ont je ne sais quoi de caressant et d'attirant: valenciennes, guipures, point de Bruges, d'Alençon et de Venise, d'application, d'Angleterre, Chantilly et Malines.
La femme aime ses dentelles; elle les parfume, les soigne et éprouve un plaisir extrême à les dérouler, même sans motif, et à les contempler: mais ce n'est pas tout que d'avoir de belles dentelles, il faut savoir les assortir à l'air et au teint de son visage.
Bien que la dentelle ait le privilège de convenir à tous les âges et à toutes les figures, il y a là, comme pour les couleurs, une règle à suivre et un choix à faire.
Certaines vieilles guipures seront d'un grand effet, appliquées sur la robe de velours noir d'une femme âgée; elles paraîtront trop lourdes sur la robe d'une jeune femme blonde svelte et mignonne. Pour cette dernière, la vaporeuse dentelle qui porte son nom, la blonde, soyeuse et si tendre au teint, est de beaucoup plus seyante. Les blondes choisiront encore de préférence la douce malines, si délicate, qui fait tout de suite penser aux perles avec lesquelles elle se marie si bien, et qui s'accorde si harmonieusement avec une peau blanche et transparente.
Aux blondes aussi et surtout aux rousses, le riche point de Venise qui fait rêver à ces belles filles aux cheveux d'or que le Titien a si magnifiquement peintes, les épaules nues, les cheveux ruisselants, tenant d'une main un miroir et de l'autre entr'ouvrant un écrin d'où s'échappent des colliers de perles nacrées.
Les brunes garderont pour elles les volants au point d'Alençon, les fichus de point d'Angleterre, et les dentelles de Bruges si magnifiquement fleuries de marguerites et de roses; mais toutes les femmes brunes ou blondes aimeront la mignonne valenciennes aux dents ondulées et au ton légèrement jauni, la dentelle de Chantilly au réseau menu, vraie dentelle française dont les guirlandes entrelacées font merveille, soit qu'on les dispose en volants légers, en mantilles ou en fichus élégamment noués par derrière. rien de plus charmant que ces longues barbes de guipure de Chantilly qu'on peut en deux tours de main transformer en nœuds coquets , en coiffures piquantes.
Avec un bout de dentelle, une femme doit savoir s'embellir. La valenciennes surtout offre des ressources précieuses; on en peut garnir indistinctement la toile, le nansou, la mousseline; elle orne très-joliment les peignoirs blancs, et les robes de chambre d'été. Un peu de mousseline, quelques coquilles de valenciennes et un nœud bleu suffisent pour composer un de ces pimpants déshabillés du matin, qui rendent un intérieur séduisant, même pour les yeux du mari. Or, et ceci est un axiome du code conjugal qu'il faudrait graver en lettres d'azur sur les portes des boudoirs féminins, toute femme désireuse d'assurer le bonheur de son ménage ne doit pas seulement se parer pour les étrangers; son premier devoir est de se faire belle pour son mari et pour ses enfants.

                                                                                                                   Rose Line.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

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