dimanche 2 juillet 2017

Barbe de fol ne peut raire.

Barbe de fol ne peut raire.


Un artiste consciencieux et habile a bien voulu reproduire cette estampe flamande. Par l'harmonie et l'exactitude des détails, cette gravure minuscule rappelle toutes les qualités des grands maîtres. La précision de l'idée, l'originalité des types, la science des accessoires, rien ne manque à ce petit tableau!




Nous avons longtemps cherché la pensée qui avait pu présider à une telle composition. La légende qui l'accompagne: Barbe de fol ne peut raire n'avait pu nous mettre jusqu'ici sur la voie. C'est là en effet un proverbe qui ne figure pas dans les recueils des sentences du temps. L'ouvrage si complet de M. Leroux de Laincy n'en fait même pas mention.
Nous avons eu tout récemment l'occasion d'être renseigné d'une façon précise par un savant bibliothécaire flamand. Ce proverbe tout local a une origine émouvante.
Au temps ou Monseigneur le duc d'Albe gouvernait les Flandres, un de ses lieutenants et amis fut envoyé à Anvers, chargé de surveiller la province qui était devenue un véritable foyer de conspiration. Alvarez établit au nom de son maître une police habile et rigoureuse. Le bourreau n'eut point à chômer, écrit un historien du temps.
Parmi les patriotes de l'époque, il faut citer un pauvre perruquier, Jacques Overbeck, dont le nom est resté justement populaire. Chez lui les gueux tenaient des conciliabules. Toutes les fois qu'il fallait porter un message secret au prince d'Orange, toutes les fois qu'il fallait risquer sa vie pour la patrie, le pauvre diable s'offrait généreusement.
Certain soir du carnaval, Alvarez qui faisait surveiller le perruquier, entra sans préambule dans sa boutique. Le gouverneur était déguisé en fou. C'était, on le sait, l'époque des travestissements. Overbeck fait la barbe au bourreau de son pays. Sa main tremble de colère. Est-ce assez de honte! Il s'applique néanmoins à dissimuler de son mieux les sentiments qui bouleversent son esprit.
Alvarez l'observait tout en frisant sa moustache, faisant couper les poils trop longs, mettant à la torture la patience du malheureux patriote.
Regardant dans la glace qu'Overbeck lui tend, il se plaint que sa moustache ne soit pas assez frisée. Puis sa tête est hérissée! Ce chien de flamand ne connait pas son métier. A ces mots, Overbeck ne peut se contenir. Barbe de fol ne peut raire, s'écrie-t-il en faisant allusion au costume d'Alvarez. Traduction: On ne peut peigner un fou, monseigneur.
Alvarez surpris qu'on lui tint un pareil langage, ne se fâcha pas tout d'abord. Mais le lendemain, le proverbe ayant circulé dans toute la ville grâce à une indiscrétion d'Overbeck, celui-ci fut arrêté. Sa maison fut scrupuleusement fouillée, et des papiers révélateurs ayant été saisis, le pauvre coiffeur fut condamné au supplice de la roue. Alvarez voulait, disait-il, faire respecter son autorité.
Overbeck mourut en criant: Vive la patrie! Voilà ce que pouvait coûter un proverbe, alors que S. E. le duc d'Albe régnait sur les Pays-Bas. Overbeck a sa place dans le martyrologue des patriotes flamands.
Ce récit lugubre ne sera que trop compris par ces temps de malheur.
Barbe de fol ne peut raire, inspira un artiste du temps. Une seconde estampe représentait la mort d'Overbeck: mais nous n'avons pas pu nous la procurer jusqu'à ce jour.

                                                                                                                Guy de Binos.

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

1 commentaire:

  1. J'ai trouvé cette gravure avec un titre différent: "A barbe de fol apprent on à raire".

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