mercredi 14 juin 2017

Les armes à double emploi.

Les armes à double emploi.

De tous temps, les armuriers se sont ingéniés à composer des armes pouvant servir à deux usages. Leurs essais n'ont pas toujours été heureux. A part l'application de la baïonnette au fusil, qui permet au fantassin d'être à la fois tireur et lancier, on n'a jamais fait que des instruments incommodes et disgracieux, toutes les fois que l'on a voulu faire des armes à double emploi. On ne se figure pas jusqu'à quel point les inventeurs ont poussé la fantaisie. Il y eut un moment où l'on fabriqua des arbalètes dont le manche large et creux formait une guitare. C'était un engin bien pratique pour les coureurs d'aventures, pour les beaux galants couverts de manteaux couleur muraille, qui venaient la nuit exécuter des sérénades sous les balcons ciselés. Muni de son instrument, le chanteur était toujours sur ses gardes. Les laquais de la maison, excités par un jaloux, faisaient-ils mine de se jeter sur lui, sa main n'avait qu'un geste à faire pour quitter les cordes harmonieuses et pour saisir la gâchette. C'était simple comme un changement de ton. A la romance interrompue succédait le duel à mort. L'arbalète cessait de moduler et la mandoline meurtrière commençait ses chants de mort.
Nous ne croyons pas que l'on ait renouveler depuis cette excentricité. Il n'est venu à l'idée de personne de faire des flûtes-sarbacanes ou des ophicléides-canons. Cependant l'on a singulièrement abusé de la musique dans notre siècle; les cafetières, les sophas, les tabatières, les talons de botte à musique sont là pour le prouver.
Par exemple, les armuriers ont toujours chercher à combiner deux armes en une seule. La gravure que nous donnons représente une de ces armes à double emploi. 




C'est une hache-pistolet du seizième siècle. Elle a été composée au moment où les pistolets venaient d'être inventés (1544) et où les haches commençaient à disparaître de l'équipement militaire. Le pistolet, comme on le voit, est long et lourd, comme un mousqueton. Son mécanisme, encore très-compliqué, prend un développement exagéré qui dépare l'ensemble et qui contraste avec l'élégance et la légèreté de la hachette. Une poignée massive et solide, protégé par une garde ronde, permet de s'en servir facilement comme arme de percussion, mais n'offre aucune des qualités requises pour faire une bonne arme de tir.
Par exemple, ce qu'il faut admirer dans cette curiosité, c'est la finesse des arabesques et des ciselures. Le métal a été fouillé par un burin exercé, et ce spécimen de l'armurerie fantaisiste du seizième siècle est un véritable bijou artistique.
De nos jours, la hachette n'a plus d'utilité ni pour l'attaque ni pour la défense. C'est un outil pour le génie militaire. Ce n'est plus une arme. Aussi nos armuriers modernes ont-ils porté leurs vues d'un autre côté. Ce qu'il font maintenant, ce sont des revolvers à pointe, des pistolets qui se terminent en poignard, des couteaux de chasse dans le manche desquels se cachent d'imperceptibles coups-de-poing. Tous ces objets sont destinés, croyons-nous, à amuser les collectionneurs de l'avenir; quant à présenter quelque utilité pratique, il nous est permis de penser que cela ne leur arrivera jamais.

                                                                                                                   O. Renaud

Le Musée universel, revue illustrée hebdomadaire, premier semestre 1874.

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