lundi 5 décembre 2016

Les sièges de Constantinople.

Les sièges de Constantinople.


Près de la porte de la Grande Mosquée, que le sultan Mahomet II fit construire sur les ruines de la basilique des Saints-Apôtres, afin de marquer d'un signe de possession temporelle et spirituelle la capitale de l'empire d'Orient, Constantinople, qui venait de succomber sous les coups, on peut lire ces mots gravés en lettre d'or et à la manière des calligraphes sarrasins, sur une table de marbre incrustée dans le mur et encadrée de laps-lazuli: "Ils ont pris Constantinople. Heureux le prince, heureuse l'armée qui ont accompli cela!"
Constantinople, la clef de deux mondes, à la jonction de deux mers et de deux continents, la capitale que de grandes puissances ont convoité de prendre, à leur tour, sur les Turcs, mais que protègent justement la rivalité de ces ambitions et la jalousie de l'Europe, la capitale pour la possession de laquelle les chancelleries aujourd'hui conspirent et trahissent la politique européenne!




L'empire byzantin, tombé dans l'avilissement le plus complet, était devenu, au temps des Croisades, l'exécration de toute l'Europe non seulement pour ses perfidies sans nombre envers les pèlerins de Terre-Sainte, mais pour le massacre, ordonné par des prêtres grecs, de toute la population latine de Constantinople. Aussi les croisés français, qui étaient partis pour aller en Palestine, et qui avaient passé l'hiver à Venise, accueillirent-ils avec enthousiasme l'occasion de satisfaire leur vengeance que leur fit offrir le jeune Alexis l'Ange, fils de l'empereur Isaac qui avait été renversé du trône par le frère de celui-ci.
Alexis l'Ange prodiguait les promesses: riches domaines, droits de commerce, villes, ports, munitions, soldats, les chrétiens devaient tout trouver dans le vieil empire. Dandolo, le doge aveugle de Venise, d'une énergie indomptable malgré ses quatre vingt-dix ans (1201), appuyait le fils de l'empereur détrôné, et l'engagement de reconnaître la suprématie du Pape dans l'empire d'Orient leva les derniers scrupules; la croisade fut encore une fois détournée de son but et l'on fit voile vers Constantinople sur les vaisseaux de la république vénitienne. La ville fut emportée le 18 juillet 1203. L'usurpateur s'enfuit, et Isaac, tiré de sa prison, fut remis sur le trône. Mais la guerre ne tarda pas à recommencer. Les latins, qui s'étaient campés aux portes de la ville en attendant l'exécution des promesses d'Alexis, perdirent patience et attaquèrent de nouveau Constantinople, la prirent au bout de trois jours, le 13 avril 1204, et la mirent à sac pendant qu'Isaac et Alexis étaient massacrés par les Grecs. L'empire byzantin fut démembré. Baudoin, comte de Flandre, qui commandait en chef, fut empereur de Constantinople, Villehardouin devint prince d'Achaïe, un seigneur bourguignon fut duc d'Athènes. Malheureusement, le nouvel empire latin, qu'on appelait alors la France nouvelle, affaibli par l'organisation féodale qui dissémina ses forces, ne put résister à la haine de ses sujets; il ne dura que cinquante-sept ans et les conquérants finirent misérablement.




La dynastie grecque des Paléologues régnait à Constantinople quand apparurent les Turcs sous ses murs.
Mohammed II (Mahomet), surnommé Boujouk ou le Grand, avait succédé à son père Mourad II, mort à Andrinople en 1451. Plein d'admiration pour la gloire guerrière d'Alexandre-le-Grand, Mohammed résolut de commencer sa carrière de conquérant par la destruction de l'empire grec, réduit en ce moment à quelques villes de la Morée et au territoire dépendant de sa capitale. Il réunit près de trois cent mille hommes, cinq ou six cents navires, et vint assiéger Constantinople où, depuis 1440, Constantin Draconès avait succédé à son frère Jean Paléologue. Huit à neuf mille hommes, parmi lesquels deux mille Génois commandés par le vaillant Justiniani, composaient toute l'armée de la ville assiégée. Mohamed offrit à Constantin pour prix de sa capitulation, la Morée en toute souveraineté. L'empereur refusa toute transaction et se prépara à une défense désespérée. Avec sa poignée de combattants, il repoussa pendant cinquante jours les efforts des Turcs armés d'artillerie. Le sultan, informé de l'arrivée prochaine de Jean Hunyad, commençait à se décourager, lorsqu'il avisa d'introduire sa flotte dans le port qui sépare les faubourgs de Péra et de Galata, en faisant transporter ses vaisseaux à force de bras sur un pont volant de planches graissées, allant du Bosphore au fond du golfe de la corne d'or. Placé ainsi au milieu des défenses des Byzantins, Mohammed ordonna, dans la nuit du 29 mai 1453, un dernier et furieux assaut. A la tête de leurs soldats électrisés, Constantin et Justiniani défendirent les remparts avec un courage héroïque. Ils durent céder au nombre et ne purent empêcher les Janissaires d'arborer sur les murs l’Étendard du Prophète. Les assiégés se replièrent sur la seconde enceinte, n'ayant plus de chefs, car Justiniani  était mortellement blessé et l'empereur avait péri en se précipitant au milieu des rangs ennemis.
Constantinople, prise quartier par quartier, fut livrée pendant trois jours au pillage et jonchée de cadavres. Soixante mille survivants furent mis en esclavage et vendus par les vainqueurs.
Et le Croissant remplaça la Croix sur l'église Sainte-Sophie.




La chute de l'empire d'Orient est généralement considérée comme le dénouement de l'histoire du moyen âge.
La reprise de Constantinople par les chrétiens est l'objet de légendes prophétiques que nous avons nous-mêmes rappelées. En voici une autre et elle vient du pays du doge Dandolo. D'après cette légende vénitienne, lorsqu'un patriarche de Venise occupera la chaire de Saint-Pierre, Constantinople retombera aux mains des chrétiens. Or Pie X était patriarche de Venise....

                                                                                                                Robert Delys.

Le Magasin pittoresque, 15 avril 1913.

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