dimanche 18 décembre 2016

Le patineur.

Le patineur.


Il y a patineur et patineur. Le patineur parisien est une malheureuse exception dans la confrérie des patineurs. Il ne patine pas. Ce n'est pas l'envie qui lui manque, c'est le terrain. Le sort l'a condamné au patinage platonique.




Nul n'est mieux chaussé que lui de patins mieux conditionnés: il a des fourrures exceptionnelles, des bérets de premier choix. Il serait superbe s'il pouvait dessiner sur un miroir de glace des arabesques variées.




Tandis que l'Anglais patine sur la Serpentine, le Viennois au Prater, le Prussien sur la Sprée, le Suisse et l'Italien sur leurs beaux lacs, le Parisien patine en rêve. Une fâcheuse guigne s'acharne contre lui. Il vit d'espérances incessamment trompées, d'illusions qui s'évaporent, de jouissance aussitôt déçues. Il est plus facile de chauffer le pôle Nord que de patiner à Paris.
Jamais il ne sera mis à l'épreuve, et il pourra faire comme ces touristes qui font graver sur leur alpenstock les noms les plus escarpés des Alpes, alors qu'ils n'ont jamais été plus loin que Bougival.
Le patineur est cependant d'essence parisienne. Les gamins de huit ans glissent déjà sur les trottoirs verglacés. Il n'y a pas de ruisseaux un peu pris qui ne servent de piste à une douzaine de collégiens en rupture de classe. Tous les élèves de Condorcet qui habitent les hauteurs de Montmartre et des Batignolles, descendent au collège en glissant à la queue-leu-leu.



A partir d'un certain âge, quand les convenances ne permettent plus au jeune homme de se laisser dévaler par le ruisseau, il faut dire adieu à l'art du skater. Le seul plaisir qui lui reste est de parler patinage avec ses amis du Club, comme on parle d'une maîtresse absente ou d'un bon dîner qu'on ne fera plus. Quant au patinage à Paris, il n'existe plus que dans le Prophète, avec de la musique de Meyerbeer.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick.

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