jeudi 29 décembre 2016

L'abbaye de Solesmes.

L'abbaye de Solesmes.


L'abbaye de Solesmes est située sur la rive gauche de la Sarthe, à l'est de la petite ville de Sablé, dont le pont est de marbre noir. Sa dédicace remonte à l'année 1010; mais c'est seulement à la fin du quinzième siècle, sous l'abbé Philippe Moreau de Saint-Hilaire, que commença la série des sculptures qui ont valu à cet édifice une certaine célébrité.




Parmi ces sculptures, les plus belles appartiennent au seizième siècle. A quels artistes doit-on les attribuer? On ne saurait faire à cette question une réponse satisfaisante. Ménage a accrédité l'opinion que Germain aurait été l'auteur d'une partie de ces œuvres; mais cette supposition paraît reposer uniquement sur la circonstance que Germain Pilon est né au village de Loué, peu éloigné de Solesmes. Non-seulement on ignore les noms des sculpteurs, mais on ne s'accorde point même sur leur école et sur leur nationalité. Quelques personnes croient reconnaître dans les sculptures de Solesmes le style des artistes allemands qui ont décoré de chefs-d'oeuvre les églises du Rhin. D'autres prétendent que les véritables auteurs sont des artistes italiens. Cette dernière opinion s'appuie sur une anecdote ancienne, que nous trouvons rapportée en ces termes dans une notice intéressante sur Solesmes (1) :
" Un soir, vers l'an 1550, l'abbé Jean Bougler, déjà avancé en âge, vit arrivé au prieuré trois étrangers qui demandait un asile pour quelques jours. Tous trois, sculpteurs et nés en Italie, erraient par la France, ayant été contraints de fuir leur patrie à l'occasion d'un meurtre dont ils étaient réputés coupables. Dans leurs courses, ils avaient entendu parler des sculptures qu'avaient fait exécuter les prieurs Cheminard et Moreau de Saint-Hilaire, pour représenter la sépulture du Christ. Ils s'empressèrent donc, dès qu'ils furent entrés dans le monastère, de voir un monument dont ils avaient tant entendu parler. La vue de ces sculptures les étonna; ils demeurèrent ravis d'admiration devant la statue de sainte Marie-Madeleine, assise dans un si profond recueillement au pied du tombeau du Christ. Il ne fut pas difficile au prieur de s'apercevoir que les trois hommes qu'il avait reçus dans sa maison étaient trois artistes; et, après s'être entretenu quelque temps avec eux, l'idée lui vint tout à coup d'utiliser leur présence, en leur donnant à exécuter, en l'honneur de la Vierge, un monument qui surpassât en magnificence celui que son prédécesseur avait élevé à la gloire du Christ. Les trois étrangers acceptèrent la proposition, et s'engagèrent à suivre les plans que le prieur leur donnerait. Le prieur fit faire aussi par ces artistes les stalles du chœur et différents groupes. Les traditions disent encore que chacun des trois artistes travaillait à la même statue dont le sujet était assigné par Jean Bougler. Tous trois s'efforçaient de rendre la pensée du prieur, et lorsque chacun d'eux avait achevé son travail, la meilleure statue était acceptée et l'on brisait les deux autres. Ainsi, lorsqu'en 1722, les Bénédictins de Solesmes rétablirent leur monastère, on trouva, dit-on, dans les fouilles que nécessita cette opération, une quantité considérable de fragments de ces statues brisées par ordre de Jean  Bougler."
La matière des sculptures de Solesmes est une pierre de Touraine, parfaitement blanche, très-tendre, d'un grain extrêmement fin, et susceptible d'un très beau poli.
L'église de l'abbaye de Solesmes n'est plus aujourd'hui qu'une grande chapelle; dans l'origine, c'était une basilique à trois nefs. les sept voûtes qui composent l'église actuelle furent construites aux quinzième et seizième siècles. On admire leur élégance, la pureté de leurs nervures, la légèreté avec laquelle elles sont établies et dressées comme des tentes. On remarque dans les murs de la nef une saillie provenant de la présence de la grosse tour carrée qui faisait partie de l'ancien édifice. Cette tour a environ 39 mètres d'élévation; sa partie inférieure est romane; la ceinture d'ogives en pierre de taille placée au-dessus des ouvertures supérieures remonte au seizième siècle. L'espèce de dôme couronné d'une lanterne à jour qui termine l'édifice fut construit en 1731, vers l'époque où l'on réédifia les bâtiments actuels du monastère.
Les sculptures, qui sont ce que l'église a de plus précieux, ornent deux chapelles.
Dans la chapelle de droite est le saint sépulcre. Huit personnes assistent à l'ensevelissement du Sauveur, Joseph d'Arimathie, décoré d'un ordre de chevalerie, est le portrait d'un ancien seigneur de Sablé. La figure de la Madeleine est très-remarquable; "elle vit, elle respire doucement; son silence est en même temps de la tristesse et de la prière."
Au-dessus du groupe sont quatre petits anges; l'un d'eux tient le voile de la Véronique; un autre porte la bourse de Judas. Le cintre extérieur du tombeau, le double arceau qui s'élève au-dessus, le pendentif, le portail gothique de la chapelle, sont décorés et travaillés avec une grande variété de détails et une rare délicatesse. Deux soldats mutilés gardent l'entrée de la grotte. Un calvaire avec tous ses accessoires occupe la partie supérieure du portail. Le Sauveur est détaché de la croix; mais les deux voleurs sont encore attachés sur l'instrument de leur supplice. Le sculpteur a affublé le mauvais larron d'une large perruque doublée; on soupçonne que ce pourrait être le portrait de quelque personnage ennemi de l'artiste.
La chapelle de gauche renferme cinq grandes scènes de la vie de la Vierge; sa Pamoison, sa Mort, sa Sépulture, son Assomption, sa Glorification. Les scènes de la Pamoison et de la Sépulture sont surtout admirées. Au-dessus de l'autel de la Pamoison se déroulent les scènes de l'Apocalypse. De toutes parts l'attention est attirée et captivée par des scènes, des groupes, des détails, des arabesques d'un goût exquis. Cet ensemble d’œuvres compose, pour ainsi dire un poème que l'on ne peut lire et comprendre qu'avec la solitude et la méditation.
Il est à regretter que les habitants de l'abbaye n'aient pas encore permis à la gravure de reproduire tous ces restes précieux d'un art qui n'est l'imitation d'aucun autre, et qui paraît avoir puisé toutes ses inspirations dans la piété sincère et forte du monastère.

(1) Essai historique sur l'abbaye de Solemes. Le Mans. 1846.

Le Magasin pittoresque, décembre 1849.

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