jeudi 29 décembre 2016

Du "Salut" chez différents peuples sauvages.

Du "Salut" chez différents peuples sauvages.


Nous voudrions récréer le lecteur, l'amuser même... en lui parlant anthropologie.
Cela pourra sembler une tentative bien audacieuse.
L'anthropologie, cette étude de l'homme de toutes races, couleurs ou nationalités, au point vue physique et du costume comme au point de vue moral et coutumier, est contrainte à une progression constante d'idées, de développements et d'aperçus généraux qui la font monotone. Elle oblige à donner de fastidieux détails qui rendent indigeste toute étude trop complète d'une race, d'une nation, d'une peuplade ou d'une tribu.
En un mot, s'il faut de l'anthropologie, pas trop n'en faut, et convient-il de l'injecter à petites doses... comme la morphine.
C'est dans cet ordre d'idées qu'il nous a paru à la fois intéressant et amusant de parcourir, à pas de géant, notre ronde planète et de cueillir dans chaque peuple les singularités d'une coutume, universelle dans son principe, mais particulière dans la façon dont chaque groupe humain exprime ce principe.
La politesse étant une des primordiales conditions de la vie sociale, même et surtout, peut-être, chez les races à civilisation retardataire, nous lui faisons les honneurs de cette première série de croquis anthropologiques
Nous parlerons donc, aujourd'hui, de la forme du salut chez les différents peuples sauvages, et nous commencerons par l'Afrique, le vaste continent noir vers lequel, en cette fin de siècle, se tourne l'attention plus ou moins désintéressée de la vieille Europe.
Le lecteur verra que cette causerie n'a rien de pédant ni de grave, et que, puisque la moitié du genre humain, dit-on, se moque de l'autre, il lui est permis de rire un peu aux dépens de ses frères à peau d'ébène.

Les Batongas.

Transportons-nous d'abord chez les Batongas, une tribu fort dévêtue qui foule de ses vastes pieds les rivages du moyen Zambèze.
Les Batongas, que l'on nomme aussi Batokas, constitue un peuple très poli; seulement, il faut avouer qu'ils ont des façons particulièrement bizarres d'exprimer leurs sentiments de congratulations ou de bienvenue.
Chez eux, le salut revêt deux formes, selon qu'il est ordinaire ou grandissime.
Le salut ordinaire consiste:
Pour les femmes, à applaudir en frappant rapidement les mains l'une contre l'autre. Mais suivant que nous somme nés sous des cieux latins ou anglo-saxons, nous accompagnons nos applaudissements de bien sentis:
"Bravo! bravo!"
Ou bien
"Hip! hip! hurrah!"
Les femmes batongas accompagnent les leurs de cris prolongés imparfaitement rendus par l'onomatopée suivante:
"Hulu!... huhulu! hulululu-u-u-u!"
Les hommes, plus silencieux, j'allais dire: comme toujours, mais je ne veux pas vexer le beau sexe, se contentent de se baisser et de frapper leurs mains, non pas l'une contre l'autre comme leurs noires moitiés, mais sur leur... mettons: leurs hanches.
Or, ce n'est là que la menue monnaie de leur civilité. Qu'un chef, ébène ou ivoire, se présente à la barrière de leur kraal, ils déploient aussitôt le grand jeu de la politesse, exécuté par la seule partie mâle de la population.
Voici en quoi il consiste:
Les Batongas s'élancent au devant de l'illustre personnage; arrivés à une vingtaine de pas de leur visiteur, ils se laissent tomber sur le dos, et, les jambes en l'air, se mettent à rouler de droite à gauche, et vice versa, absolument comme nos ânes lorsqu'on veut les décharger de leur bât. Ce mouvement de va-et-vient est accompagné de claques magistrales qu'à tour de bras ils s'administrent, selon la pudique expression d'un voyageur anglais, "sur la partie haute et extérieure des cuisses". Ils y ajoutent, poussés par toute la force de leurs puissants poumons les cris articulés de:
"Kina-bomba! kina-bomba!"
Nous reconnaissons sans peine que le spectacle de ces marques de politesse n'est pas fait pour charmer le regard d'un homme policé de bonne compagnie. Le docteur Livingstone dit, en effet, qu'il ne put jamais voir, sans un sentiment pénible, "ces grands gaillards tous nus se roulant sur le dos en se giflant" à son approche. Toujours il essaya de les arrêter du geste et de la voix et de leur faire comprendre son déplaisir; mais toujours aussi, les Batongas, se méprenant sur l'objet de ses protestations, supposaient que le chef blanc ne s'estimait pas salué selon son importance, et se mettaient à se rouler et à se claquer de plus belle.
Pour cette peuplade qui a élevé, comme dirait M. Prud'homme, " la claque à la hauteur d'une institution", cette singulière manifestation de ses intentions respectueuses constitue le fond même de toute cérémonie où doit présider dame étiquette. Leur façon d'échanger des cadeaux... devant sans doute entretenir l'amitié, en fait foi.
Celui qui offre un présent doit s'arranger de manière à le tenir, quel que soit son volume, dans la seule main gauche: la droite devant être, en permanence, occupée à frapper énergiquement la cuisse correspondante. Aussitôt que l'objet est passé de sa main dans celles du personnage auquel il est destiné, le donneur tape d'abord ses mains l'une contre l'autre, puis s'assied, et sans doute pour donner une occupation à ses deux mains désormais libres, exécute sur ses cuisses et de toutes ses forces un tambourinage dont la violence témoigne l'éloquence.
L'art tapageur et gambadant de ces typiques salutations est doctement enseigné par les parents aux enfants, dès que ceux-ci ont atteint l'âge précoce de raison... très limité.

                                                                                                                            G. de Wailly

Journal des Voyages, dimanche 1er septembre 1889.

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