mardi 27 septembre 2016

Rue des Marmousets. Part IV.

Rue des Marmousets.
               Part IV.


Tandis que dans la salle de la rue du Cloître la pauvre veuve de Christian rendait les derniers devoirs à son époux, sa petite Éveline s'ébattait dans la rue de la Barillerie, chez la parente qui l'avait emmenée le matin.
Habituée à la solitude silencieuse de sa rue natale, elle ne pouvait rassasier ses yeux de ce qu'elle voyait de nouveau, d'étrange; le bruit et le mouvement qui se faisaient en cet endroit à l'entour du Palais la rendaient stupéfaite d'étonnement et presque de peur. Elle ne se lassait point d'admirer cette foule bigarrée et sans cesse renaissante: les femmes dans leurs brillants atours, les troupes de sergents et d'archers et surtout les gens de la suite du roi qui couraient de toute la vitesse de leurs chevaux, brisant leurs hallebardes sur le dos des vilains qu'ils n'écrasaient pas. 
Longtemps ce spectacle si nouveau pour elle la cloua au seuil de la maison de sa parente; mais un bohémien étant venu à passer avec son cortège accoutumé d'enfants, d'écoliers et de gens de toutes classes avides des tours d'adresse de ces païens, elle suivit quelque temps le bouffon ou plutôt se laissa emporter par le populaire.
Quand elle s'aperçut qu'elle n'était plus près de la maison qu'elle avait promis de ne pas quitter, elle était fort loin déjà, dans un quartier inconnu. La pauvre enfant se voyant ainsi seule, se prit à avoir peur, et n'osant réclamer l'aide d'un charitable passant, elle s'accroupit dans l'angle obscur d'un mur et y pleura en silence, tandis que la nuit qui descendait sur Paris augmentait les dangers de la situation.
Cependant la veuve avait accompli son pieux office, la terre venait de recueillir la dépouille mortelle de Christian, qui par une faveur insigne, preuve nouvelle de la protection de l'évêque, avait eu l'honneur d'être enseveli dans le cimetière du cloître, au chevet de Notre-Dame.
Après avoir prié et pleuré sur cette fosse avare qui garde si bien les trésors de tendres qu'elle engloutit, la mère se ressouvint qu'il lui restait une mission sainte à remplir, que son Christian lui avait laissé un souvenir vivant et précieux de leur amour, et, déjà calme et forte, sinon consolée, elle se leva après avoir fait serment à son époux de se consacrer toute entière à son enfant chérie, et elle s'achemina à pas précipitée vers la rue de la Barillerie: elle avait tant besoin d'embrasser son Éveline... elle n'avait plus qu'elle à aimer sur la terre!
Quand elle arriva chez sa parente, il ne s'y trouvait plus d'enfant, plus personne qui osât lui en rendre compte, tous s'étaient enfuis devant le désespoir de la mère! son enfant était perdue! On lui avait volé son enfant!
Oh! comment décrire de pareilles scènes, dans quelle langue, de quels mots peindre le désespoir de cette mère, ses cris, ses regards enflammés, sa fureur, son délire? Étendez en ce moment le cadavre de son Christian qu'elle avait tant aimé, elle le contemplera d'un œil sec, d'un visage impassible... c'est sa fille, son Éveline qu'il lui faut! Dites-lui même, tant le cœur d'une mère recèle de transports jaloux, dites-lui que cette enfant est morte, montrez-la lui écrasée sous la roue d'un chariot, et vous la consolerez, croyez-le. Car une mère, cela préfère cent fois céder son enfant à la tombe qu'aux caresses d'une autre femme qui lui vole son orgueil, son titre et ses ineffables voluptés de mère.
Tant que la nuit dura, elle parcourut la ville comme une insensée, cherchant, appelant partout son enfant, fouillant les carrefours les plus dangereux, les porches les plus infâmes: (est-ce qu'une mère à la recherche de son enfant connaît la peur?) et la réclamant aux passants effrayés, aux monuments silencieux, à la Seine murmurante, à la nuit ténébreuse.
Au matin la foule s'assemblait sur la place du parvis de Notre-Dame, autour d'une pauvre femme qui venait de tomber sur le pavé de la rue, épuisée de fatigue et à demi morte d'inanition... c'était la mère d’Éveline, la veuve de Christian.
Et à l'heure même où la malheureuse femme quittait le cimetière pour rejoindre son enfant, un homme couvert d'un ample manteau et qui avait rencontré Éveline où nous l'avons laissé assise et fondant en larme, l'avait prise dans ses bras et l'avait emportée... dans la maison aux Marmousets.

Journal des Demoiselles, mars 1843.

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