mardi 9 août 2016

Le ministre en herbe.

Le ministre en herbe.

Le ministre en herbe est un bipède, qui n'était rien hier et qui n'est pas grand chose aujourd'hui. Un beau matin, son nom est cité dans les journaux, pour être compris dans une des plus prochaines combinaisons ministérielles.
Aussitôt le ministre en herbe se fait une tête ad hoc. Il porte une redingote croisée, se colle un portefeuille, généralement vide, sous le bras droit et se montre dans les "cercles politiques". On le voit, à deux heures, dans la salle des Pas-Perdus; le soir, à l'Elysée, où il vient faire sa cour; et le matin dans l'antichambre de celui que le Président de la République a chargé de composer le futur Cabinet.




Il ne sait pas encore dans quel ministère on l'enverra. Il est apte à tout. A deux heures il est plein de zèle pour l'intérieur. Il a tout un système de réorganisation administratives. C'est son affaire. Il expose des idées nouvelles sur la nomination des préfets, sur la centralisation et sur le régime douanier. A cinq heures, tout est changé. On lui a offert l'instruction publique. Qu'à cela ne tienne! Il devient littérateur, professeur et artiste. Il imagine, séance tenante, des modifications dans les écoles et les lycées. Il parle belles-lettres et beaux-arts. A huit heures, on le désigne comme ministre du commerce. Incontinent, il change de peau, apprend par cœur le code commercial, opère des réformes dans le corps consulaire et médite une loi sur les faillites. Le lendemain, on lui donne les travaux publics. C'était son rêve. Le voilà ingénieur. Il connaît la question des chemins de fer et il émet, sur la voirie, des idées qui jusque là étaient demeurées inconnues et inédites.
Folâtre la veille, indifférent, grincheux, récalcitrant, il est maintenant homme de gouvernement. Hier, il votait contre le Tonkin, contre l'Eglise, contre la mairie centrale de Paris; aujourd'hui, il se ravise: "Il faudra voir, dit-il, on ne peut lâcher du jour au lendemain une conquête comme l'Indo-Chine. Il est nécessaire de rester en bons termes avec le Pape, et il faut se garder de donner trop de puissance au pouvoir municipal.
Mais la combinaison échoue, son nom, prononcé un instant, est déjà méconnu, oublié. 



L'ex-apprenti ministre lâche la redingote, se remet en veston et prépare dans l'ombre l'ombre d'horribles interpellations contre les ministres de l'avenir, qu'il ne connaît pas encore.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.

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