mercredi 8 juin 2016

Soissons.

Soissons.


La ville de Soissons appartenait à la Belgique sous la domination romaine; elle portait alors le nom de Noviodunum; plus tard, érigé en cité, elle s'appela Suessona, d'où est dérivé le nom qu'elle possède aujourd'hui, Soissons.
César entoura Soissons d'une muraille, bâtie de briques et de pierres. La ville avait de l'est à l'ouest, 150 toises; du nord au midi, 130. Deux châteaux et plusieurs monuments s'élevèrent sous César. Il fit percer plusieurs grandes routes pour joindre Soissons aux villes voisines, et on trouve encore des débris de colonnes portant des inscriptions romaines qui attestent la présence des empereurs dans cette ville. Une d'elle fut élevée par Marc-Aurèle-Antonin Pie; elle est datée de son troisième consulat. On trouve aussi, en fouillant les décombres des anciennes constructions, des médailles à l'effigie de Tibère, de Néron et de Galba. Soissons avait la prééminence après Reims sur toutes les villes de la Belgique, jusqu'au moment où Clovis vainquit Syragrius, et fit alors de Soissons le siège principal de la puissance française.
A l'époque où le christianisme s'introduisait en France, Soissons vit deux prosélytes de la doctrine chrétienne prêcher dans ses murs, avec zèle et enthousiasme, la vraie religion. Deux hommes de basse condition y furent élevés à la gloire du martyre. Le cruel collège de Dioclétien, l'exécuteur de ses ordres, leur fit endurer des souffrances horribles pour obtenir l'abjuration de leur foi; mais ils préférèrent la mort au parjure. Leurs cendres fut recueillies par un vieillard nommé Roger; sa maison devint, à cause des deux saints qu'elle recelait, le rendez-vous des chrétiens qui voulaient prier ensemble sur les dépouilles de ces hommes mis au nombre des martyrs par leur courage religieux. Or, ces deux victimes étaient de modestes cordonniers que l'amour du christianisme enflammait. Le calendrier les nomme saint Crépin et saint Crépinien.
La maison de Roger est devenue une des plus belles églises de Soissons. Les persécutions que les Romains exercèrent sur les chrétiens enflammèrent le zèle des défenseurs du christianisme. Deux adversaires redoutables quittèrent la belle Italie pour venir, dans une petite ville française, combattre pour la cause sacrée de leur religion; l'un était simple prêtre, l'autre évêque, Sixte et Sinice. Ils firent faire aux Soissonnais de si rapides progrès dans la foi, qu'en peu de temps l'Eglise du Seigneur s'éleva triomphante dans leur ville. Sixte et Sinice moururent bientôt après leur succès, et furent canonisés. Leurs dépouilles furent placées comme première pierre d'une église qu'on bâtit en leur honneur à Reims, où l'évêque s'était retiré. Le 1er septembre de chaque année, une fête solennelle encore aujourd'hui rappelle la mémoire de ces deux saints célèbres.
Clovis, par amour pour sa bonne ville de Soissons, y célébra ses noces avec la belle Clotilde; le roi et la reine aimaient le séjour de cette ville, et surtout leur château de Crouy, bâti sur le bord de la jolie rivière d'Aisne, qui baigne le vallon, serpente d'une manière si pittoresque aux côtés de la ville, et rend ses promenades si riantes et si animées. Clotilde répandit des trésors dans les églises de Soissons; elle en bâtit plusieurs, entre autre l'église Sainte-Sophie, tout près de son palais. Occupée uniquement du salut de son royal époux, elle l'entourait des signes religieux qu'elle voulait lui faire adorer. On sait le rôle élevé que cette femme céleste joua dans l'importante conversion de Clovis.




Après Clovis, des victoires, ternies par des crimes, rendirent Clotaire 1er possesseur de Soissons. Cette cité fut le théâtre des plus effroyables réactions; mais, peu de temps après, le tyran, tourmenté du poids de ses remords, voulut les expier aux pieds du saint évêque de Noyon. Il partit, et, au moment où il arrivait dans la ville, Médard, le saint évêque, se mourait.
Le roi, à la nouvelle de cette mort qui lui enlevait l'espérance de son salut, tomba dans un affreux désespoir, et fit transporter le corps de Médard à Soissons, suivit cette dépouille mortelle à pied, la tête couverte d'un crêpe funèbre. La cendre de saint Médard fut déposée dans une chapelle dépendante du château de Crouy; le roi attacha des religieux à cet asile, pour y rendre les honneurs au saint qu'il y renfermait, et, voulant ou croyant apaiser le courroux céleste par des sacrifices de fortune, il fit élever un magnifique monastère près de la chapelle où était le tombeau de saint Médard. Toutefois sa mort l'empêcha de terminer son oeuvre; il avait légué à son fils l'ordre de poursuivre les travaux importants qu'il avait commencés, et assigné, pour cette opération, des sommes immenses. Ces dernières dispositions en faveur de la communauté disposèrent les religieux en sa faveur, et Clotaire, malgré ses crimes, eut une place près du pieux évêque de Noyon. Les historiens du temps louèrent la piété et les vertus du roi.
On voit les effigies de Clotaire et de son fils sculptées sur leur tombeau dans les caveaux de l'abbaye de Saint-Médard. Dans ce temps, où les miracles étaient  l'espérance du peuple, son spectacle et presque son unique fortune, les saints étaient pour une communauté ce qu'est aujourd'hui une franche et belle industrie pour des négociants habiles. Ainsi, bientôt le monastère de Saint-Médard attira la foule, les offrandes pleuvaient de toutes parts, les richesses s'amassèrent, et les religieux arrivèrent de tous côtés et s'accrurent au nombre de quatre cents. Cet établissement, fondé par un remords, devint l'une des premières communautés du royaume. Le pape lui décerna des privilèges, et l'on y tint des conciles nombreux et importants.
La ville de Soissons est encore célèbre par les désordres et les atrocités de la reine Frédégonde, par la puissance de ces maires du palais, régnant sur leur simple fauteuil plus librement et surtout plus despotiquement que les rois de notre époque sur leur trône. Ebroin, l'un des maires, fit élever dans Soissons, plusieurs monastères. Une église fut ouverte aux pauvres comme maison d'asile; une autre fut consacrée à la sépulture des religieuses. Dans l'une de ces églises on trouva un manuscrit de saint Augustin, et un soulier et une ceinture ayant, dit-on, appartenu à la Sainte Vierge; puis un tombeau renfermant les reliques de saint Draussin, où se présentait tout chevalier qui désirait devenir invincible.
Enfin, lorsque Soissons, après bien des révolutions, fut une des cités du vaste empire de Charlemagne, le flambeau des lettres, que le monarque promenait sur la France, s'arrêta dans cette ville. Des écoles s'élevèrent pour instruire les fils des nobles et des riches. A cette époque, on ne songeait pas encore à instruire le pauvre; mais, du fond de l'Italie, l'empereur appela deux musiciens célèbres, Théodore et Benoît, pour instruire ses sujets dans l'art du chant, et remplacer les tristes psalmodies par des accords harmonieux. Charlemagne soumit les monastères à de sévères règlements; il fonda un hôtel-dieu pour y recevoir les malades, et des sœurs hospitalières furent arrachées à cet utile établissement pour les soigner.
L'abbaye de Saint-Médard, un peu négligée durant le règne de Charlemagne, reprit sa splendeur sous son fils, Louis le débonnaire. De nouvelles dotations vinrent l'enrichir encore; mais, peu reconnaissant des largesses du roi, le monastère ouvrit plus tard à Louis ses cachots, et les moines l'emprisonnèrent, par l'ordre de ses fils, dans le plus affreux de tous.
A cette époque, la puissance du clergé opprimait tous les Etats; à l'aide de la superstition et du fanatisme, les prêtres entassaient sur une relique les trésors des couronnes et les deniers de la veuve. Le crime, trop souvent, était assis sur le trône, et se croyait caché parce que le voile d'un religieux se plaçait entre le peuple et la victime; le tombeau d'un martyr sanctifiait les cendres d'un assassin, et, pour une offrande de plus, on forçait d'adorer ce qu'on aurait dû maudire.
Des révolutions sanguinaires éclaircirent les rangs des religieux à Soissons. Les Normands pillèrent la belle et riche abbaye de Saint-Médard, et, sous le règne de Charles VI, Soissons fut le théâtre d'une guerre intestine où les soldats du roi se portèrent à toutes les horreurs. Cette ville conserve encore le triste souvenir du malheureux Abeilard, forcé de brûler son livre et de faire amende honorable devant ses juges et ses bourreaux.
Aujourd'hui la petite ville se Soissons ne présente plus de ses abbayes splendides et de ses châteaux royaux que quelques débris; le peu qui reste de ses reliques si précieuses n'inspire qu'un sentiment de pitié pour l'abus qu'on a fait de celles qui n'existent plus. Autant le tombeau d'un être vertueux commande le respect, autant les miracles attribués à la mort le rendent ridicule.
Maintenant les églises de Soissons ne sont témoins que de simples cérémonies où l'on peut unir sa voix et ses vœux au digne ecclésiastique qui les porte vers le ciel. La jeune fille y reçoit un époux, et l'enfant le baptême; la dernière prière, enfin, vient confondre devant l'Etre suprême le pauvre et le riche, et les rend égaux devant la sublime justice de Dieu. 
La ville de Soissons a toujours sa rivière, ses vallons, ses prairies et son air embaumé. Sa cathédrale est d'une belle architecture; Saint-Jean-des-Vignes est aussi une très-belle église, et les ruines de Saint-Médard réveillent trop de souvenirs pour ne pas intéresser le voyageur.
La ville de Soissons a donné plusieurs hommes de mérite à la France. Julien d'Héricourt y fonda une académie qui se faisait honneur de venir,  dans le sein de l'Académie française, prendre un protecteur pour l'aider et la diriger dans ses travaux.

                                                                                                           Aglaé Comte.

Le Magasin universel, février 1837.


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