lundi 27 juin 2016

Les "Carolines".

Les "Carolines".

La "Caroline" est une névropathe de création récente, absolument comme les morphinomanes. Son nom lui vient d'un des membres les plus distingués de l'Académie française, M. Caro.
Il parait que M. Caro, comme certaines plantes de la Flore orientale, répand des émanations subtiles, exerce un magnétisme particulier, qui saisissent les individus du sexe féminin. Tous ne succombent pas, mais tous en sont frappés.
La caroline, quand elle subit les premières atteintes de cette hystérie spéciale, devient pâle, rêveuse et méditative. Son pas est plus léger, son sourire plus mélancolique, son teint plus diaphane. La Caroline est maigre; les plus avancées portent des lunettes. Leur parole s'alanguit. Le plus effrayant symptôme, c'est qu'elles cessent d'être des femmes pour devenir des Carolines.




Jeune fille, la Caroline se voue au célibat et prend M. Caro pour époux spirituel. Ce spiritualisme permet à M. Caro de prendre un grand nombre de femmes sans se fatiguer. Mariée, la Caroline néglige son ménage. Le mari d'une caroline est assuré de porter des chaussettes trouées et des chemises sans boutons. Il retrouve de vieux mouchoirs dans ses poches et n'a pas d'enfants.





La Caroline fait des vers et, quand elle ne sait pas, de la prose poétique. elle est philosophe, philologue, astronome, mystique, idéaliste, conceptualiste, néoplatonicienne et encyclopédique; mais avec un fond de cupidonnerie platonique, de concupiscence religieuse, d'aspirations à des joies matérielles, tout en restant éthérées. Elle plane sur un divan.






Le remède à ce mal est dans le mal lui-même. M. Caro est tout à la fois l'auteur et le curateur. Il fait la plaie et la guérit. Naguère, il pouvait, dans ses cours publics, donner aux femmes des consultations gratuites, qu'il continuait dans les salons particuliers. Aujourd'hui le gouvernement, inquiet ou maladroit, poussé par quelque Pasteur avide d'appliquer un virus carolique de son invention, a interdit l'accès de la Sorbonne aux Carolines.
Celles-ci s'étiolent et se laissent dévorer par le plus implacable des platonismes. Elles se consument de désir à la porte du sanctuaire et ne peuvent trouver qu'un médiocre soulagement à contempler de loin M. Caro, quand il sort de la Sorbonne, emmitouflé dans un foulard de soie et chaussé de socques en caoutchouc.
Peut être les plus robustes des Carolines résisteront-elles en vertu de l'axiome: Cessante causa, cessat effectus. Mais que de victimes avant ce dénouement!

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.

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