vendredi 24 juin 2016

Clisson.

Clisson.


Pour se rendre à Clisson, on sort de Nantes par les ponts qui, dans l'étendue d'une demi-lieue, ajoutent à la ville les îles nombreuses que la Loire renferme dans son bassin.
A l'extrémité du pont de Pirmil, on voit encore des ruines de la tour construite en 1365, sur des fortifications plus anciennes, par l'amiral Bouchard, d'après l'ordre de Jean IV, duc de Bretagne, pour défendre Nantes du côté du Poitou.
La ville de Clisson est située au confluent de la Sèvre et de la Moine, à six lieues sud-est de Nantes; elle était autrefois sur les limites de l'Anjou, de la Bretagne et du Poitou. Elle renfermait, avant la révolution, trois mille habitants. On y comptait cinq églises, deux prieurés, deux couvents, et un hôpital. Elle possédait une haute justice qui ressortissait du présidial de Nantes. Les guerres de la Vendée ont été fatales à cette ville, qui plusieurs fois a été prise et reprise, et dont la population s'est trouvée réduite à douze cents habitants, qui vivent principalement du produit des usines établies en grand nombre sur la Sèvre.
Les environs de Clisson présentent des promenades délicieuses, et les bords de la Sèvre et de la Moine offrent à l'artiste les points de vue les plus pittoresques; mais c'est surtout aux ruines et aux souvenirs du château, que s'adressent les hommages du peintre et de l'historien. Pour approcher du château, on traverse une porte à demi-démolie, garnie de deux tourelles de briques, et qui sert aujourd'hui de porte de ville. C'est là que se trouvent les murailles fortifiées qui entouraient le vieil édifice, et les maisons qui s'étaient groupées à ses pieds.




Les murailles qui défendent encore la ville ont été élevées par Olivier 1er de Clisson, augmentées par le connétable et réparées par François II, duc de Bretagne. Ces fortifications, qui datent d'une époque antérieure à la découverte de l'artillerie, font encore aujourd'hui l'admiration des ingénieurs.
On pénètre dans les ruines par la grande porte, qui est accompagnée d'une plus petite, qui, comme elle, avait un pont-levis. En passant dans la première cour, on y rencontre partout les vestiges des ravages des hommes, aussi terribles mais moins éloquents que les injures du temps.
Sur la gauche, on descend dans des caveaux humides. C'étaient des prisons qu ne recevaient le jour que par des grilles. Sur leurs voûtes transformées en terrasses, on aperçoit:


Ces dômes, ces degrés dans les air suspendus,
Conduisant au sommet d'une tour qui n'est plus.
                                     (Delille)

De la première cour on entre dans un bastion, où se trouvent deux ormes, dont la vieillesse atteste si bien la vétusté de ces ruines. Après avoir franchi dix portes, dont plusieurs sont défendues par des ponts-levis, et des herses pratiquées dans des murailles de 10 pieds d'épaisseur, on parvient à la dernière cour. C'est là qu'étaient les habitations de ces guerriers, qui faisaient une prison de leur demeure, et qui ne se croyait en sûreté que lorsqu'ils étaient inaccessibles.
Le milieu de la cour était marqué par un puits, témoin des cruautés les plus atroces de nos dernières guerres civiles. Ce puits est comblé aujourd'hui... Un arbre funéraire planté dans son enceinte proclame l'oubli pour le meurtrier, la pitié pour la victime.
Ici, mille sensations confuses vous assiègent. On considère ces fortifications assises sur le granit, pour rivaliser de durée avec lui. Des chambres ont été pratiquées dans leur intérieur, et on dirait une habitation destinée à des géants. Si quelque chose peut donner une idée de ces constructions colossales, c'est le foyer de la cuisine, partagé en deux cheminées, d'une longueur de 18 pieds sur 9 de profondeur.
Aujourd'hui, le soleil pénètre dans ces murs qui ne recevaient le jour que par d'étroites ouvertures, le vent siffle dans ces salles désertes, où retentissait le bruit des armes, le lierre rampe sur ces créneaux brisés où flottaient les nobles bannières. Ces tours qui avait résisté tant de fois aux attaques de l'homme, n'ont pu soutenir les assauts du temps. Vers le milieu du XVIIe siècle, la moitié du donjon s'est écroulée.
Les fenêtres partagées par une croix de pierre, la forme des créneaux, des mâchicoulis, le plan même de l'édifice, tout annonce cette architecture moresque née dans des climats plus doux, et qui paraît comme étrangère sous notre ciel humide.
Cette forteresse en effet, fut construite par Olivier 1er de Clisson, à son retour des croisades; mais bâtie sur un rocher, en face du confluent de deux rivières, sa position était trop avantageuse pour qu'on puisse supposer que quelque édifice ne s'était pas déjà élevé sur l'emplacement qu'elle occupe. Elle remplaça, dit-on, un ancien castel, qui lui-même avait succédé à des fortifications romaines détruites par les Normands.
C'est à ce monument que se rattachent les souvenirs les plus illustres des annales bretonnes. C'est là que naquit Olivier de Clisson, cet ennemi irréconciliable des Anglais, ce rival de Montfort, ce frère d'armes de Duguesclin, qu'il fut jugé digne de remplacer. Le guerrier célèbre semble évoquer autour de lui tous les souvenirs du XIVe siècle, comme il parut réunir en sa personne tous les vices et toutes les vertus de ces héros du moyen âge, tour à tour poëtes et guerriers ; fidèles à l'amour, mais souvent traîtres envers la patrie; vengeur de l'innocence opprimée, mais bravant impunément les lois; doués d'une âme héroïque, mais crédules et superstitieux; faibles et énergiques tout ensemble; capables enfin des plus grands crimes, comme des plus grands traits de courage et de générosité.
Depuis la réunion de la Bretagne à la France, jusqu'à l'époque des guerres de la Ligue, l'histoire ne fait plus mention de Clisson. Lorsque ces guerres cruelles commencèrent à désoler la France, Henri de Bourbon, roi de Navarre, assiégea ce château en 1588. Ne pouvant le prendre, il se rejeta sur Beauvais dont il s'empara. A la mort de Henri III, le duc de Mercoeur, qui était le chef de la Ligue en Bretagne, et qui prétendait se rendre maître du duché, sur lequel il faisait valoir les droits de la maison de Blois, dont il avait épousé l'héritière, ne voulut plus reconnaître le successeur de ce prince. Les états de Bretagne se déclarèrent du parti contraire, et la plupart des places fortes de Bretagne furent fermées au prince rebelle. Il assiégea vainement le château de Clisson.
Depuis cette guerre, cet édifice est resté dans un abandon total. Déjà ses vieilles murailles, délaissées pendant deux siècles, commençaient à tomber en ruines, lorsque la guerre de la Vendée a achevé de le rendre inhabitable. A cette époque, il servit de place d'armes à l'armée de Mayenne.
Aujourd'hui les ruines de Clisson, devenues propriété d'un artiste, grand amateur de l'antiquité, sont au moins jusqu'à nouvel ordre à l'abri d'une destruction totale, et longtemps encore, il fait l'espérer, elles feront l'admiration du paysagiste et du voyageur.

                                                                                                                           E. B.

Le Magasin universel, juin 1837.

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