dimanche 14 février 2016

Les élections: le candidat de liste.

Les élections: le candidat de liste.

Le candidat de liste, quelle que soit sa politique, est toujours bâti sur le même modèle. Multiple dans la forme, il est unique et uniforme quant au fond.
Avant la candidature, c'est un individu comme un autre, bourgeois, négociant, père de famille, propriétaire ou locataire, aimable, travailleur, mangeur, buveur, galant... un homme enfin.
Pendant sa candidature, c'est une espèce de braque possédé d'une idée fixe, l’œil perdu, la lèvre crispée, le dos aplati, l'échine courbée, la main tendue, la bouche en cœur. Il n'a plus ni femme, ni enfant, ni famille, ni foyer, ni chien, ni chat. Il n'a plus ni commerce, ni maison, ni champs, ni bétail. Il n'a plus faim, ni soif, ni sommeil, ni sens, ni amour, ni désir. Il vit dans, avec, sur, sous et pour une Urne.




Il est complaisant, prêt à tout faire et à tout accepter. Il n'y a pas de domestique plus servile que lui, de courtisan plus incliné, de mendiant plus humble. Il n'existe pas d'oreille plus docile et de derrière plus tendu. Pendant les deux mois de la période électorale, il vit dans l'angoisse et l'espérance, entre la joie et la douleur, entre l'injure et le dithyrambe. Sans cesse ballotté entre les mains des journalistes et des clubistes, il est tour à tour le dernier des gredins ou le premier des gentlemen, patriote et traître, lâche et vaillant, désintéressé et vénal, probe et fripouille, dupe et roublard, incapable et intelligent, vil et fier.





Sa vie se passe dans la rue, devant les affiches où son nom est placardé. Il guette le passant arrêté, le suit de l’œil, essaie de deviner sa pensée, scrute la satisfaction ou le mépris que l'électeur traduit par un œil sympathique ou une moue dégoûtée. Et si l'électeur est avec un ami, il les écoute, et, selon leur opinion, il pâlit de joie ou d'ennui, se contracte ou se dilate, se redresse ou s'affaisse.




Après sa candidature, si elle a réussi, le candidat devient un autre homme. Il est aussi orgueilleux qu'il était plat, aussi bouffi qu'il était écrasé, aussi insolent qu'il était modeste. Ambitieux à la Chambre, vaniteux dans le monde, despote en famille, bavard dans les salons, prétentieux dans son cabinet, arrogant dans la rue, impudent dans les couloirs, menteur avec ses commettants, satisfait dans la majorité, grincheux dans l'opposition, nul partout.
Le candidat de liste est sans conviction. Pour être nommé, il n'hésite pas à se faire ou à se laisser porter sur plusieurs listes et dans plusieurs départements. C'est en définitive un mauvais plat qui sort d'une méchante cuisine.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la librairie Illustrée, 1887.

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