mercredi 17 février 2016

Le décati.

Le décati.

Le décati n'est pas un homme qui a vieilli. Vieillir est un art. Le décati voudrait être et avoir été. Il a été charmant, délicieux, irrésistible, il veut être encore irrésistible, délicieux, charmant, et n'est que décati.
Le décati a eu son heure de gloire dans les dix dernières années de l'Empire; des petits crevés, c'était le roi, comme le roitelet l'est parmi les oiseaux-mouches. Il était plus petit, plus exigu, plus frêle, plus femme que les autres. Il a fait la joie des petits salons de Compiègne et a rencontré d'inoubliables succès dans les boudoirs des beautés de l'époque. S'il avait eu quelque envergure, il se serait transformé et l'âge, en le marquant, ne l'aurait pas détruit. Si, jeune homme, il avait été beau, il serait resté beau, il n' été qu'extrêmement joli, il n'est plus qu'extrêmement décati.




Le décati est de très petite taille, d'allure chétive, bien qu'il ait élargi. Son œil était vague et humide, il est devenu provocant et pleurard. Il portait une fine moustache blonde, des cheveux de femme en petits bandeaux bien frisés; des cils soyeux ombrageaient son regard. Maintenant ses paupières sont rouges et velues et il semble que les mites sont venues à bout de son pelage comme d'une précieuse fourrure de martre mal conservée.
Il avait un petit déhanchement qui faisaient pâmer les jeunes filles et dont raffolaient les beautés mûres. Le déhanchement est devenu une laide démarche qui confine au tic et vieillit encore le personnage.
Il a gardé son goût pour les costumes trop jeunes, les carreaux voyants, les coupes enfantines, les cols démesurément ouverts, qui, à présent, accentuent pour lui les rides précoces et l'apparence décrépite de ses fraîcheurs couperosées.




Le décati n'a rien appris; sa conversation est restée aussi creuse qu'au temps où il avait vingt ans; seulement comme la fortune s'est éloignée de lui en même temps que la gentillesse passée, il a, grâce à des relations résistantes, obtenu quelque poste consulaire ou administratif.
Le décati n'est pas marié; il continue, avec des moyens retardataires, à courir la carrière aventureuse d'homme à succès. En somme, le décati est un mouchoir de fine batiste dans lequel on a mis jadis une odeur exquise. On retrouve un jour le mouchoir oublié dans quelque coin, jaune, usé, défraîchi.
Il sent encore, mais il sent... ferme.

N. B. Le décati ne digère plus qu'à l'aide d'eau de Vichy.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, illustrations de Caran d'Ache, Job et Frick, à la librairie illustrée, 1887.

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