dimanche 8 novembre 2015

Véhicules d'autrefois.

Véhicules d'autrefois.


Jusqu'à l'apparition des litières, au XIIIe siècle, on ne circulait guère en France qu'à cheval et à mule. Les gentilshommes et les hommes d'armes chevauchaient palefrois et destriers et les nobles damoiselles à hennin montaient en amazone de blanches haquenées. La mule était réservée aux gens de robe, aux gens d'église et à la gent bourgeoise. La litière portée sur deux brancards par deux chevaux ou deux mulets, l'un devant, l'autre derrière, servit de véhicule, d'ailleurs fort incommode, aux dames de la noblesse, une ordonnance royale ayant prescrit que "nulle bourgeoise n'en pouvait avoir".
La chaise à porteurs remplaça avec avantage la litière. C'est la première femme de Henri IV, la reine Marguerite, qui en a commencé la mode. Cette mode s'est surtout développée au XVIIIe siècle, luxueuse, artistique et motif à de charmants tableaux de genre des peintres exquis du temps: les Watteau, les Lancrel, les Fragonard et bien d'autres. Elle s'harmonisait, en effet, à merveille avec la toilette féminine du temps; la chaise à porteur, vernissée, laquée, dorée, délicatement peinte et avec ses glaces biseautées et sa garniture de peluche bleue ou rose, était l'écrin rêvé pour ce délicieux biscuit de Saxe qu'était la femme élégante contemporaine de Mme de Pompadour ou de Mme du Barry. Quelque-unes ont été conservées qui sont de fort belles pièces décoratives des grandes collections d'art et on en retrouve encore des spécimens d'un haut prix dans les antichambres, voire dans les salons de quelques vieux hôtels des nobles faubourgs. Le véhicule était lent, mais sans heurts et sans secousses; la dame qu'il transportait en visites, en soirées ou au théâtre ne courrait aucun risque pour ses falbalas ou pour la parure compliquée de sa tête. Aussi nos arrières-grand'mères en conservèrent longtemps l'usage; il en circulait encore en 1830 pour les sorties du soir.
Cependant, à côté de la chaise à porteurs de luxe, s'était introduite la chaise à porteurs de louage. Ce fut une invention d'un bâtard du duc de Bellegarde, une manière d'aventurier et de viveur appelé Montbrun de Souscarrière. Il se fit confectionner une chaise très confortable et se fit promener en tous sens dans Paris. On ne voyait que lui et sa chaise dans les rues, et à toute heure du jour et de la nuit. Quand la réclame ambulante eut produit son effet, il exposa à Louis XIII son projet d'exploitation et en obtint l'agrément avec privilège. L'argent lui manquait pour lancer l'affaire, mais il en trouva chez une personne fort riche et qui lui voulait du bien, Mme de Cavoye, et l'affaire réussit si bien que 800 chaises furent rapidement mises en circulation sur le pavé parisien. Ces chaises rapportaient à Souscarrière, par an, 40.000 livres, somme très suffisante en ce temps pour lui permettre de mener une vie de pacha qui était de son goût. D'ailleurs il s'était empressé de se dégager des liens de sa protectrice des débuts en la désintéressant de son apport financier et en lui rendant mille grâces.
Parallèlement à l'industrie publique de la chaise à porteurs, celle du carrosse s'était aussi développée. Introduit en France par la mère de la reine Margot, Catherine de Médicis, le carrosse mit quelque temps à s'acclimater: on n'en comptait guère que trois à Paris en 1550 et, plus tard encore, Henri IV écrivait à Sully:
"Je ne saurais aller vous voir aujourd'hui parce que ma femme se sert de ma carrosse". Carrosse était alors féminin et l'est resté jusqu'à Louis XIV. En 1657, M. de Givry créa des carrosses de louages, à l'imitation de ce que Souscarrière avait fait pour les chaises à porteurs. Mais les chaises avaient toujours la faveur du public. On en voyait d'interminables files à la porte des théâtres et des églises. Les "faquins", dont l'industrie consistait à appeler les porteurs, avaient déjà un nom significatif: on les appelait les "aboyeurs".
Comme Mme de Cavoye pour les chaises, on vit des femmes lancer l'entreprise des carrosses-fiacres. Anne Piquet, fille d'honneur d'Anne d'Autriche, puis Mme de Beauvais. Dès 1652, à en croire le poète Nicolas Damesme, ces fiacres:

Étaient de fort méchants carrosse,
Où l'on attelait chevaux rosses;
Les cuirs étaient rapetassés,
Vilains, crasseux et mal passés.

On sait ce que Boileau en dit aussi un peu plus tard dans ses "Embarras de Paris", où il n'y aurait que quelques embarras de plus à y ajouter pour en faire un morceau d'actualité!
Saint-Evremond, si écœuré de son côté qu'il déserta Paris pour Londres, écrivait vers 1690:
"Les cochers étaient si brutaux, ils avaient la voix si enrouée, si effroyable, le claquement continuel de leurs fouets augmentait le bruit d'une manière si horrible, qu'il semblait que toutes les furies fussent en mouvement pour faire de Paris un enfer..."
Que dirait-il aujourd'hui, le correspondant névrosé de Ninon de Lenclos, si, réveillé de son sommeil séculaire, il se trouvait subitement transporté sur la chaussée de Paris, la grand'ville du XXe siècle, et pris dans le mouvement ahurissant des fiacres, des camions, des charrettes, des bicyclettes, des tri-porteurs, des autos, des omnibus, des tramways, des autos surtout, des autos homicides et nauséabonds? L'embarras de l'auto! il est tel que le Comité de l'Automobile Club se croit obligé de porter à la connaissance des intéressés qu'il a reçu des plaintes sans nombre au sujet du danger de certaines rues et certaines avenues et que, devant un tel... soulèvement de l'opinion, des mesures de police très sévères sont à craindre.
Dieu le veuille et veuille aussi que tous les véhicules quittent la terre pour circuler dans les airs. Alors redevenus les fiers Gaulois, nous ne craindrons plus qu'une chose, c'est que le ciel ne nous tombe sur la tête.

                                                                                                                   Noël Marty.

Le Magasin pittoresque, 15 janvier 1913.

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