mardi 10 novembre 2015

Le premier jour de l'An.

Le premier jour de l'An.


La fête des étrennes est de tous les temps. On l'a connue chez tous les peuples. Sans doute, tous les calendriers et toutes les civilisations ne concordent pas; mais ce que l'on retrouve partout, c'est cet échange de cadeaux qu'aucune révolution et qu'aucun ukase n'a pu encore abolir. Une sculpture du temple de Denrérah nous montre le roi Pharaon offrant, à l'occasion de la nouvelle année, les fruits de la terre de la déesse Hathor. En Perse, la fête de "Nourouz", ou du commencement de l'année, se célébrait et se célèbre encore à l'équinoxe du printemps et dure six jours. Dans l'antique Egypte, à l'époque où "le Nil bienfaisant" donnait les premiers indices de sa crue annuelle, les Égyptiens "s'offraient mutuellement, dit Plutarque, et mangeaient ensemble des figues et du miel". Chez les Israélites, le jour de l'an s'appelle Rosch-Haschana. De toute antiquité, les Hébreux s'envoient ce jour-là des présents et distribuent des aumônes aux pauvres. Rosch-Haschana veut dire "tête de l'année". Dans l'ancienne Grèce, l'année s'ouvrait au solstice d'été. C'est de Rome que nous vient le mot "étrennes" et c'est du calendrier de Jules César que date l'usage de faire commencer l'année le 1er janvier. Ces premières étrennes, dit encore le bon Plutarque, se composèrent de figues sèches et de branches d'olivier. O sancta simplicitas... On cueillait les branches d'olivier dans les bois de la déesse Strenna. Naturellement l'étrenne se civilisa peu à peu, comme les hommes. Les présents devinrent de plus en plus fastueux, et l'échange des souhaits et des vœux d'affection prit un tour hyperbolique, qui contrasta de plus en plus avec l'ingénuité primitive. L'or et l'argent, sous forme de monnaie ou de médailles, remplacèrent les palmes, les figues et le miel. Ovide, né malin, fait dire quelque part à Janus, le patron du mois, qu'il faut être bien innocent pour croire le miel plus doux que l'argent. L'étrenne s'agrandit en même temps que Rome.
Dans la Gaule, la cérémonie druidique de "l'aguilaneuf" se transforma sous l'influence du christianisme. A la fin de décembre, les eubages allaient, on le sait dans les forêts sacrées couper le gui de chêne avec une faucille d'or. 



Les branches de gui étaient-elles ensuite distribuées au peuple en guise d'étrennes? on le suppose; mais les détails manquent. C'est le Dictionnaire de Trévoux seul qui l'affirme, sans citer les autorités. Toujours est-il que, dans la plupart de nos provinces, les enfants couraient, le 31 décembre et le 1er janvier, à travers les rues des villes, en criant: Guilanée! Aguilaneuf! Hoguigueno! Haguignette!. On a voulu voir dans chacun de ces mots un souvenir du gui druidique; mais le savant Hersart de la Villemarqué a péremptoirement démontré que le substantif celtique eginad, qui veut dire "prémices de l'année" a très probablement présidé à la formation de ces différents vocables.
Les quêtes du 1er janvier entraînaient de graves abus; l'Eglise les interdit. Si, dans le Périgord, dans la Normandie, dans la Guyenne, dans le Limousin, etc., elles persistent encore de nos jours, c'est qu'elles se sont débarrassées de tout ce qui leur donnait un caractère païen. Voici quelques-unes des antiennes usitées dans le département de la Manche:

A guilaneu!
A fleur de lys!
Nous irons en paradis
Il y fit si bon, si bel!
C'est ma sœur Madeleine
Qui en est la plus certaine,
Elle y roule sa brouette
Tout le long du paradis.
Ah! donnez-moi la guilaneu,
En l'honneur de Jésus-Christ!

Dans les campagnes, les cadeaux offerts aux enfants se composèrent surtout de fruits et de menue monnaie; mais il en fut autrement dans les villes. Aux branches d'olivier ou de gui, aux œufs et aux châtaignes succédèrent de bonne heure les jouets.
Les plus anciens jouets que l'archéologie mentionne sont ceux dont Wilkinson donne la figure dans son savant ouvrage intitulé: Coutumes et mœurs des anciens Égyptiens.
Il s'agit de balles de peau bourrées de matières élastiques, absolument semblables à celles que l'on fabrique encore aujourd'hui. On voit apparaître aussi un petit crocodile en bois ouvrant les mâchoires, des poupées dont les membres sont articulés, des pantins auxquels on faisait exécuter différents mouvements avec un fil, etc.
On a trouvé un assez grand nombre de jouets romains: poupées, cerceaux, toupies, hochets, petits ustensiles, ménages d'enfant, dans les tombeaux des premiers chrétiens.
Le mécanicien Archytas inventa, en Grèce, une colombe de bois qui volait; d'autres artistes fabriquèrent des oiseaux divers que les enfants lançaient dans l'air, où un mécanisme secret les soutenait pendant quelques minutes, à la grande joie des jeunes spectateurs.
Comme on le voit, les serins factices qu'exhibent nos marchands forains ne sont pas précisément une nouveauté, et leurs ancêtres se perdent dans la nuit des temps.
Aujourd'hui encore, à Athènes, quand vient le jour de la "Fête de l'Hirondelle", dont les Grecs ont conservé le culte, les enfants courent les rues en agitant une hirondelle de bois supportée par un moulinet et mise en branle avec une ficelle, comme les modestes moulins de bois qui réjouissaient notre enfance, peu accoutumée encore aux jouets compliqués qu'à mis à la mode le luxe moderne.
Les moulinets ont, du reste, été de tout temps en honneur, et Rabelais raconte que les enfants de son époque prenaient plaisir à en construire avec de simples écailles de noix.
Il est encore un jouet dont la forme rudimentaire et le mécanisme grossier dénotent l'antiquité: c'est le maréchal-ferrant, qui a du moins l'avantage de n'être pas brisé facilement, puisqu'il consiste en trois ou quatre morceaux de bois plus ou moins artistement découpés.
La crécelle, le cheval de bois, les billes, le tambour, le casse-noisettes fantaisiste, dus au couteau de naïfs artistes de la Renaissance, font l'ornement de quelques-uns de nos musées.
En Allemagne, où l'on est toujours pratique, les jouets n'ont pas seulement pour destination l'amusement des enfants, et la tranquillité des parents, ajouterait un camelot parisien, mais encore et surtout leur instruction. Les jouets y sont à la fois des instruments de science et de physique. C'est  de là que sont venus, faisant faire la grimace aux bambins peu enthousiastes à qui ces divertissements rappellent l'école, de là sont venus les jeux de dominos à lettres, les jeux de patience représentant des cartes de géographie, et les dés recouverts de notes de musique.
Plus pitoyables aux fillettes, les Allemands ont perfectionné la poupée, et la ville de Nuremberg, que Paris a depuis bien dépassé, est restée longtemps célèbre pour les productions de ce genre.
On a fait des jouets de toutes sortes, de toutes formes, de tout prix; mais, après bien des informations, nous croyons pouvoir formuler sur ces jouets l'appréciation suivante: "Les jouets qui plaisent le mieux aux enfants ne sont pas les plus beaux et ceux qui coûtent le plus cher; il faut inscrire au premier rang ceux qui s'articulent avec le plus d'aisance et qui font le plus de bruit."
Comme les cadeaux et les jouets ne sont pas à la portée de toutes les bourses, on a trouvé ingénieux de remplacer les présents par un échange mutuel de petits rectangle de papier bristol. 
Les Chinois connaissaient bien avant nous les cartes de visites. Avec leur esprit formaliste, méticuleux et précis, ils organisèrent une hiérarchie de cartons, destinés aux plus grands dignitaires comme aux plus minces lettrés. Ces derniers n'avaient droit qu'à de petites cartes de visites, feuilles de papier rouge, oblongues, portant leurs noms en caractères noirs, tracés de bas en haut et de gauche à droite. Les cartes augmentaient de volume avec la situation sociale, et celles des principaux fonctionnaires étaient si grandes, que l'on aurait pu en tapisser un petit salon; d'autant mieux que, la calligraphie et la peinture étant estimées au même titre en Chine, ces belles cartes avaient un prix artistiques considérable. Depuis plus de deux mille ans, ces cartes sont en usage. Dans le roman chinois des Deux cousines, traduit par Abel Rémusat, il en est fait mention à deux reprises.
En Europe, c'est au temps de Louis XIV que la carte de visite, sous le nom de billet de visite, fit son apparition dans le monde et dans les relations sociales. Dans une curieuse petite pièce de vers intitulée: les Incommodités réciproques du jour de l'an, qui parut à la fin du XVIIe siècle, on voit que le billet de visite fut d'abord une carte à jouer retournée sur laquelle on inscrivait son nom, et qu'on glissait dans la serrure quand on ne trouvait personne; de là l'origine des cartes de visite, qui restèrent longtemps manuscrites. M. Philippe Berthelot, qui a pu visiter la riche collection du baron de Bourgoing, nous apprend que cette collection possède de nombreuses cartes, ainsi que des fragments de carte à jouer, au dos desquelles les noms suivants sont libellés à la main: "Le comte de Gersdorff, ministre de Saxe"; "l'ambassadeur de Hollande"; "le chargé d'affaires de la cour impériale de Russie", etc. Sur le revers d'une dame de cœur, l'ambassadeur de Venise a inscrit son nom et son titre. Sous la Régence et pendant les règnes de Louis XV et de Louis XVI, les cartes de visites autographes furent remplacées par les cartes de visite gravées; la mode s'y mit, et tous les bourgeois tinrent à faire imprimer leur nom anobli sur de petits carrés de hollande. Jamais ne rayonnèrent tant de titres.
Vers 1750, on fit graver des armoiries, et cette originalité devint bientôt la règle. Dès lors les plus habiles et les plus illustres artistes se plurent à enjoliver les billets de visite; les Cochin, les Eisen, les Fragonard, les Chossart, les Moreau, se firent les ornemanistes de ces bouts de papiers transformés en oeuvre d'art. Enguirlandés par leur caprice, ces cartes éphémères portaient, les unes un nom écrit à la main, les autres, gravées spécialement pour les personnages de marque, des figures et des ornements symboliques en conformité avec leur goût et leur situation. La collection de Bourgoing contient une carte gravée de l'archevêque de Sébaste, nonce du pape près Sa majesté catholique. Le dessin représente Saint-Pierre de Rome, dans le fond à droite; au premier plan, l'Eglise tenant en main les clefs et la croix; à gauche, le nom et les armes du nonce.
Après 1750, la carte de visite était devenue le porte-souhait imprimé. Auparavant on s'envoyait des compliments et des salutations par les laquais. Les jours de fête et de cérémonie, les gens du bel air se faisaient écrire "aux portes", c'est à dire faisaient inscrire leur nom chez les suisses. A partir du milieu du XVIIIe siècle, on se mit à glisser des cartes pour visites chez le portier ou dans la serrure. Les graveurs se chargeaient tout à la fois de les remplir et de les faire porter; sur des cadres tout fait avec de petites vignettes gravées, ils inscrivaient ou gravaient le nom. L'usage était si bien établi et si répandu, que, vers 1770, un conseiller au parlement fit installer devant sa porte deux boîtes; l'une était vide avec l'écriteau: Mettez; l'autre, pleine de cartes à son nom portait: Prenez.
La mode changea encore. On fit porter les cartes par des laquais. Ceux-ci, à l'époque du 1er janvier, s'accostaient dans la rue et échangeaient des cartes ornées portant les souhaits de leurs maîtres; ils avaient déjà l'usage de s'appeler entre eux par le nom des gens qu'ils servaient.
Les cartes sont alors très pittoresques. Chacune porte sa marque et celle de celui qui l'a fait graver. L'inestimable collection du docteur Piogey, rassemblée en quarante années de patientes recherches, contient les types les plus variés des billets de visite gravés pendant le siècle de leur vogue.
La veuve d'un général se fait représentée en Artémise, près du monument que décorent l'épée, le casque et le bouclier du défunt. Un peu plus loin, un certain Wertheinstein, sans doute d'humeur vagabonde, fait déchiffrer son nom, tracé sur la pierre d'une ruine, par un voyageur; peut-être n'est-ce qu'une allusion mélancolique à son âge. Tournons quelques feuillets, et arrêtons-nous à la carte de la comtesse de Wurber. Un charmant cupidon sonne pour elle sur un marbre enguirlandé de roses, au milieu desquelles se caressent des colombes. Un peu plus loin, la princesse de Parme, dans un cartouche écrit de sa main, présente ses civilités à Mme la comtesse de Linange. A côté, le graveur Adam Bartsch, conservateur du musée des estampes de Vienne, prend pour émissaire de ses civilités un sympathique caniche, tandis que François Casanova, frère du fameux baron de Seingalt, célèbre peintre de batailles, confie ce soin à un baudet de fière allure, qui porte sur son dos un drapeau dans les plis duquel s'enroule le nom de Casanova. Le suisse Fischer, faisant allusion au sens de son propre nom, l'inscrit au-dessus d'une belle gravure qui représente un pêcheur en train de tirer des poissons de l'eau. Enfin, le dernier ambassadeur de Venise à Paris, le chevalier Da Canale, nous offre des cartes de visites splendides, ornés de lourds coins d'argent.
Aux approches de 1789, les temps devinrent plus graves. La mode rompit avec les petits objets charmants dont le siècle s'était si fort engoué; on renonça aux amours, aux colombes, aux cœurs enflammés. Les cartes prirent un caractère de simplicité républicaine. Pendant longtemps, Augustin de Saint-Aubin fut réduit, pour gagner sa vie, à graver des feuilles de laurier sur les cartes de visite que lui confiaient des citoyens économes. Avec Bonaparte, les cartes ornées reprirent la vogue; bientôt l'aigle impérial y déploya ses ailes, et des enfants se jouèrent au milieu des drapeaux et des trophées. Quelques cartes sont frappées en relief sur des cartons roses, avec des personnages costumés à l'antique et des ornements dans le style. Elie de Beaumont, membre de l'Institut, traçait son nom à la main. L'originalité s'arrête là. Toutes les cartes portent le nom et le prénom de la personne; sur une seule le prénom est remplacé par le mot Monsieur: celle de M. Thiers.
On doit pourtant une mention aux convaincus qui font suivre leur nom d'un commentaire qu'ils jugent honorable, utile ou indispensable.
Villiers de l'Isle-Adam, vers 1867, faisait suivre son nom, sur sa carte de visite, de la mention suivante: Candidat à la succession des rois de Chypre et de Jérusalem. Citons encore le comte de S..., frère du général Z... , blessé à Sébastopol, et J. Rousseau, architecte, dont la famille ne descend aucunement du philosophe impie. Il y a peu d'années, un épicier de Dijon s'était mis sur les rangs, à côté de MM. Ferry et de Freycinet, pour la succession de Grévy; il inscrivait sur sa carte: X... , candidat à la présidence de la République. Un de mes amis, un original, ajoute à son nom une profession de foi piquante: Louis T... , lecteur de la LIBRE PAROLE !...

Les fêtes de nos pères, Oscar Havard, Mame, Tours, 1898.

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