jeudi 26 novembre 2015

La passion du jeu.

La passion du jeu.

Il est toujours question de réglementer les établissements où l'on joue. Une Commission, qui doit bien être la centième ou la deux centième sur la matière, fonctionne même, paraît-il, en ce moment et se réunit, comme toutes les Commissions, autour d'un tapis vert, qui dans la circonstance, doit paraître symbolique.




A ce propos, et en guise de commentaire au saisissant croquis de Renouard, que nous publions ci-dessus, esquissons quelques silhouettes de joueurs:

I.- La journée d'un joueur.

Levé à midi, il déjeune, s'habille lentement et ne sait comment tuer le temps jusqu'à quatre heures. Il arrive au Cercle avant la première banque, et c'est à peine s'il s'inquiète des nouvelles du jour.
Il frémit, il piaffe. Les autres joueurs se montrent, l'un après l'autre; on se serre la main, sans se connaître, en se méprisant vaguement, mais avec la cordialité d'individus qui ont besoin les uns des autres.
Le joueur s'installe. Il tripote ses jetons, il a hâte de recevoir sa carte. Il la tient enfin, puis l'autre... Il les file nerveusement. Suprême émotion, indicible jouissance. Il abat, il gagne. O joie! sensation! frémissement! En deux minutes, le joueur a souri, grincé, sué, souffert, joui... Et ainsi de suite jusqu'à sept heures.
La veine tourne. Il a perdu. Le joueur songe qu'il faut être raisonnable: il ira se coucher de bonne heure, ou bien il finira la soirée au théâtre. Baste! Neuf heures sonnent, il n'y tient plus. Il prend congé de ses amphitryons, sous un prétexte à peine acceptable, et le voilà parti pour le "tripot". C'est de ce nom qu'il qualifie le paradis où seulement il respire. Et la partie recommence jusqu'à cinq heures du matin, avec les mêmes alternatives d'ivresses joyeuses et de terribles angoisses.

II. -Les joueuses.

De tout temps, les femmes ont aimé le jeu. Comment une passion, qui met en mouvement les fibres les plus compliquées et les plus excitables de notre être, n'exercerait-elle pas sur elles un attrait bien plus irrésistible encore que sur l'autre moitié du genre humain?
Grâce à la délicatesse de leur nature, les femmes l'emportent sur les hommes par la promptitude et l'intensité de leurs émotions. Les alternatives de perte et de gain font vibrer leurs nerfs avec une spontanéité inconnue au sexe fort, en général endurci de bonne heure par les luttes et les fatigues de la vie. Peu importe aux vraies joueuses que le gain ou la perte soient énormes ou modiques, elles passent sans transition, de la joie la plus exubérante au plus extrême abattement, suivant les vicissitudes de la partie.
Il convient d'ajouter que les femmes mariées se trouvant placées sous la tutelle de leur époux, le plaisir de perdre de l'argent est surtout réservé aux vieilles filles et aux veuves, en général trop mûres pour rechercher, pendant leurs derniers jours, avec une ardeur exceptionnelle, les émotions que la baisse ou la hausse de la Rente procure aux spéculateurs de profession. 



Les femmes âgées, qui sont maîtresses de leur patrimoine et ne peuvent résister à la passion du jeu, aiment mieux tenter elles-mêmes la fortune à la roulette que de procéder par l'intermédiaire d'un agent de change.
C'est une question de temps; tôt ou tard, les femmes de tout âge et de toute condition, émancipées des entraves que leur imposent les lois civiles, les mœurs et les conventions sociales, forceront peut-être aussi les portes de la Bourse!...

                                                                                                                                   Sergines.

Les Annales politiques et littéraires, Revue universelle paraissant le dimanche, 14 février 1907.

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