vendredi 2 octobre 2015

Ascenseurs et chaises-volantes.

Ascenseurs et chaises-volantes.


Dans l'Année scientifique de 1858, M. Louis Figuier écrivait: "On a imaginé de supprimer les escaliers et de les remplacer par une machine, dite ascenseur qui vous prend au rez-de-chaussée et vous porte tout doucement au premier, au second, voire jusqu'au septième étage.
On chercherait en vain le mot "ascenseur" dans les dictionnaires publiés depuis cette époque, et cependant l'idée de se faire hisser d'étage en étage remonte à plus de deux siècles, seulement l'ascenseur était appelé "chaise volante".
Pendant les premières années de Louis XVI, Mme de Genlis s'émerveillait de voir des"escaliers sans soutien"; or voici que nous en retrouvons la trace dans le journal de Dangeau:
"M. Villayer, de l'Académie française, les avait mis à la mode en 1680, M. le prince s'en servait à Paris et à Versailles".
Celui qui voulait se faire ainsi transporter du rez-de-chaussée aux étages supérieurs se plaçait sur une chaise, qu'un mécanisme, muni d'un contrepoids, faisait monter lentement.
Dans les Furetiana (1696) nous voyons aussi qu'un certain M. Thonier avait fabriqué une machine du même genre; mais il n'eut pas à s'en louer. Son escalier ambulant rompit en route, et, comme il ne pouvait avoir la ressource de se rattraper aux marches, il se cassa bras et jambes.
Le grand Condé, à qui la goutte laissait rarement l'usage de ses jambes, se servait de "chaise volante" à Paris et à Chantilly.
Plutôt par l'esprit d'imitation que par nécessité, car elle habitait à l'entresol du palais de Versailles, sa belle-fille, la "très-haute et très-puissante" princesse de Nantes, fille de Mme de Montespan, voulut faire fabriquer un ascenseur pour son usage personnel. Son père le Grand Roi n'osa point l'en dissuader, mais il ne dissimula pas sa mauvaise humeur et, le jour où elle fut victime de son caprice, il fut le premier à en rire aux larmes.
Voici ce qui arriva: l'ascenseur, établi dans une sorte de cage carrée, fonctionnait entre quatre murs. Un beau matin, la machine se détraqua et "l'excellente princesse" dut rester près de trois heures emprisonnée dans le couloir obscur, où "la chaise volante" ne pouvait plus ni monter ni descendre. On se divertit beaucoup à Versailles de cette mésaventure et l'on compara l'héroïne à "un oiseau tombé par la cheminée étroite d'un poêle et incapable de recouvrer la liberté".
De ce jour, les ascenseurs furent condamnés et ils ne réapparurent que sous la restauration bourbonienne.
Louis XVIII, devenu d'un obésité extrême, ne pouvait, sans difficulté,  être mis dans sa calèche, et ressentait de vives douleurs lorsque ses valets, pour l'y transporter, le prenaient par le buste et par ses jambes énormes qu'enveloppaient des guêtres en velours rouge, brodées d'un petit cordon d'or. On eut recours, pour faciliter cette translation, à une sorte d'ascenseur, rappelant la "chaise volante". Une poulie descendait et remontait l'auguste malade dans un fauteuil, qui était roulé jusque dans la voiture, dont l'attelage partait au galop.
Nous sommes bien loin des "chaises" et des "fauteuils volants", qui pouvaient à peine soulever le poids d'un haut personnage, et aujourd'hui les monte-charges et les ascenseurs sont d'un usage courant, aussi bien dans les maisons particulières que dans les hôtels et dans les administrations publiques.
Le plus grand nombre de ces appareils de transport sont mis en mouvement par un système de mécanisme hydraulique, quelques-uns sont actionnés par l'air comprimé.
A l'Exposition de 1878, deux ascenseurs hydrauliques fonctionnaient dans le palais du Trocadéro et portaient les visiteurs jusqu'au sommet des tours. Depuis lors, leur emploi s'est généralisé dans les grands magasins, dans les gares de chemin de fer et dans les bassins maritimes, et l'on peut, à l'aide d'un ascenseur, se faire hisser du port de Marseille au niveau de la colline de Notre-Dame de la Garde.
Ajoutons que les perfectionnements apportés dans la construction de ces appareils, par la douceur de la marche, la puissance de contrôle de tous les mouvements, la facilité de visite et d'entretien, semblent devoir conjurer tout danger: aussi nos grandes et petites dames n'hésitent-elles pas à s'engager sur l'ascenseur de la Tour Eiffel, ou sur ceux de nos grands magasins à la mode, sans crainte d'être victime du même accident que la fille de Mme de Montespan.

                                                                                                                B. Depéage.

La Science illustrée, 19 octobre 1892.

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