lundi 21 septembre 2015

Publicité ancienne.

Publicité ancienne.




Les conservateurs des Archives de la Seine, savants consciencieux et actifs qui n'en sont pas à leur première bonne inspiration, ont eu l'heureuse idée de faire une collection d'étiquettes et de prospectus des anciens temps. Ces petits papiers auxquels nos ancêtres n'attribuaient sans doute guère plus d'importance qu'aux réclames distribuées de nos jours dans les rues et jetées immédiatement au ruisseau ont acquis, petit à petit, une grande valeur de documentation. 




Les collectionneurs se les arrachent, les payent très cher, et nos historiens qui, pendant longtemps en ont fait fi, les examinent aujourd'hui à la loupe.
Les archives de la Seine possèdent beaucoup d'anciens registres de commerce provenant surtout de faillites. Les papetiers avaient toujours eu coutume de coller leurs étiquettes au dos de leurs livres, les archivistes ont ainsi pu en recueillir un certain nombre; d'autre part, les liasses de procédure de la juridiction ont fourni une grande quantité de prospectus dont on a rempli deux gros volumes mis aujourd'hui à la disposition d'un public curieux. 



Les fac-simile imprimés ici ont été gravés d'après cette collection sauf les étiquettes "A la vache noire" et "Au Roy armé" dont nous devons la reproduction à l'obligeance du musée Carnavalet.






Ces étiquettes et ces prospectus, datant du dix-septième et surtout du dix-huitième siècle sont des plus intéressants parce qu'ils nous dévoilent, en quelques lignes, les coulisses des mœurs anciennes et nous représentent la vie de nos pères en un tableau résumé, plus instructif que bien des longues dissertations bourrées de faits et de dissertations savantes.
Qu'on lise le modèle des billets distribués autrefois par les recruteurs des dragons de la Rochefoucault, et on aura du coup une idée de ce que devait être l'armée de l'ancien régime; 




de même que si l'on veut avoir quelque lumière sur l'état de la chirurgie à la fin du Consulat ou au commencement du premier empire, il suffit de lire la réclame par laquelle Montodon propose ses services de chirurgien-accoucheur en se vantant d'avoir commencé ses études dans la patisserie. 



Après cela, on comprendra mieux les luttes légendaires des barbiers contre les chirurgiens et, à la suite de l'ordonnance royale de 1660, les luttes non moins héroïques des chirurgiens-barbiers contre les médecins.
Coulloudon, fabricant de fournitures pour horloger, nous semble n'avoir pas été très respectueux des lois. Les débuts de la réclame imprimée succédant à la réclame criée par des crieurs assermentés, furent, en effet, contrariés par les autorités.




En 1734, une ordonnance de police interdit aux marchands de faire faire des billets afin d'attirer la clientèle et de "courir les uns sur les autres pour le débit de leurs marchandises", particulièrement par l'annonce des prix. L'astucieux Coulloudon paraît avoir tourné la difficulté en écrivant ses prix à la main.
Il est à remarquer combien il est malaisé jadis de donner son adresse. On reproche à l'âge des machines d'avoir compliqué la vie. Rendons-lui aussi cette justice qu'il l'a aussi, par ailleurs considérablement simplifiée. 



Spinasolle, ci-devant garde française, comme tous les brodeurs de son époque, est obligé de remplir quatre lignes de texte pour indiquer où il demeure.
L'étiquette de Garbagni nous enseigne que ce n'est pas d'aujourd'hui que les Italiens ont cherché fortune chez nous dans le beau métier de fumiste.



On peut trouver curieux qu'un pays  d'un climat où le chauffage n'a pas d'importance, ait pendant si longtemps, presque monopolisé en France un art dont les ouvriers plus septentrionaux eussent pu, avec plus de raison, tirer profit et gloire. Garbagni est un modeste. Il ne prétend pas, à l'imitation de tous ses concurrents dont les prospectus nous sont parvenus, avoir lui seul le secret d'empêcher les cheminées de fumer. La formule par laquelle il annonce qu'il n'acceptera le paiement de sa note que si le client se déclare satisfait, était générale dans le monde de la fumisterie. N'est-ce pas là que s'explique l'autre acceptation du mot fumiste?




L'étiquette du citoyen Barthelot, inventeur du Polygraphe, nous apprend que, dès la Révolution, on construisit à Paris des plumes à réservoir, connues aujourd'hui sous le nom de stylographes et renommées, on le voit à tort, comme étant dues à l'imagination créatrice de l'Amérique.
Le dix-huitième siècle, siècle de grâce et d'élégance, nous a laissé des étiquettes gravées, ornées de vignettes charmantes. Les papetiers surtout mettaient leur amour-propre à présenter leur marchandises de façon artistique, ainsi que le montre les étiquettes "Au lustre d'artifice" et "Aux envieux de la Vertu". 






Les enseignes avec le mot "Vertu" étaient recherchées par les marchands de papier à cause de la célèbre encre de la petite vertu dont la renommée était si grande qu'elle n'est pas encore éteinte.
Nos lecteurs peuvent voir, d'après ces rapides réflexions, quel est, pour les chercheurs, l'intérêt des étiquettes anciennes. Il en existe encore de nombreux échantillons qui dorment dédaignées dans les archives des particuliers. 



Nous serions heureux d'avoir pu, en ces quelques lignes, montrer l'importance et empêcher la destruction de ces petits papiers que les musées recueillent aujourd'hui pieusement comme de précieuses reliques du passé.

                                                                                                                    Louis Forest.

L'Illustration, 6 juillet 1901.

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