samedi 26 septembre 2015

De Bordeaux à Paris en bicycle.

De bordeaux à Paris en bicycle.


Nous ne pouvions pas rester indifférent à l'événement qui a passionné, ces jours derniers, le monde vélocipédique, et nous donnons ci-dessous le portrait de M. Mills, le champion anglais qui a accompli le tour de force extraordinaire de fournir une course de 577 kilomètres en 26 heures 34 minutes.




Parti de Bordeaux le 23 mai à 5 heures du matin, il est arrivé le lendemain matin à 7 heures 34 à la porte Maillot sous une pluie battante, qui l'avait du reste accompagné durant toute la seconde moitié de son parcours. La photographie que nous reproduisons a été prise dès son arrivée dans sa tenue de voyage et sur la bicyclette Humber qu'il montait.
Quoique le champion anglais n'ait voulu convenir d'aucune fatigue physique, il était visible que cette course de résistance, faite dans des conditions exceptionnelles, avait altéré ses traits et qu'il n'aurait pas pu continuer plus longtemps.
M. Mills n'a pris pendant le voyage que le temps d'avaler quelques bouchées de viande crue et quelques gorgées de bouillon, et ces haltes n'ont pas dépassé chacune trois minutes. Des entraîneurs qui se relayaient de distance en distance l'ont accompagné pendant tout le chemin. Ce sont eux qui devaient lui aplanir les difficultés de la route, l'éclairer pendant la nuit, lui céder leur machine en cas d'accident.
Les nombreuses côtes que l'on rencontre, surtout en approchant de Paris, ont été gravies à toute vitesse et descendues, à ce qu'il paraît, avec une rapidité vertigineuse, 40 à 50 kilomètres à l'heure, et, à cet effet, il avait été ajouté à la pédale de bicyclette un fer recourbé et destiné à maintenir le pied et à l'empêcher de glisser, la machine n'ayant pas de frein.
Sur les trente huit coureurs engagés, dix-sept seulement sont arrivés, le second en 27 heures 50 minutes, le dernier en 64 heures.
Ce voyage, fait par le vainqueur avec un train moyen de 21 kilomètres à l'heure, indique un progrès sensible dans l'entraînement des bicyclistes. Il y a une dizaines d'années, on ne se doutait guère qu'un jour un coureur, monté sur les deux roues d'un vélocipède, fourbirait une course de 577 kilomètres avec la vitesse d'un train. Cette course, peut-être peu recommandable au point de vue de l'hygiène et de la santé, nous indique ce que l'on pourrait obtenir, en temps de guerre, d'un corps de coureurs bien entraînés. L'ennemi aurait beau couper les communications, détruire les lignes de chemins de fer, les dépêches parviendraient cependant à leur adresse et dans un temps fort court.
De pareilles courses ne sont possibles que depuis l'invention de la bicyclette. Le vélocipédiste, placé entre deux roues de hauteur égale, peut, sans crainte, se lancer à fond de train et descendre les côtes avec la vitesse vertigineuse de 45 ou 50 kilomètres à l'heure. Autrefois, un vélocipédiste, marchant à ce train, aurait été à la merci du premier petit caillou qui dans un côte, serait venu se placer sous sa petite roue; c'était la chute assurée avec toutes ses conséquences.




Les bicyclettes qui sont arrivées les premières étaient munies de caoutchoucs pneumatiques. Il faut avouer que ces gros tubes, cerclant des roues toujours assez fines, sont d'une inélégance parfaite; notre œil s'y fera peut être. En tous cas, leur supériorité est incontestable; ces caoutchoucs permettent au bicycliste de passer sans secousse sur des cailloux, sur des pavés. La boue, la poussière dans lesquelles la roue n'enfonce plus, ne lui opposent plus qu'une faible résistance, et il est certain que ce perfectionnement a beaucoup aidé les coureurs et a contribué, dans une large part, à leur faire obtenir leur énorme vitesse.
Le lendemain de son arrivée à Paris, M. Mills, qui ne ressentait aucune fatigue de sa course au clocher, s'est rendu à l'invitation d'un grand journal parisien, et pendant une heure a excité au plus haut point l'intérêt de son auditoire, composé du Tout-Paris de la littérature. L'intrépide vélocipédiste, qui ne sait pas un mot de notre langue,  a dû avoir recours à un  de nos confrères pour nous faire connaître le captivant récit de son voyage et exprimer sa reconnaissance à la cordiale et chaleureuse réception que lui ont faite les Parisiens.

La Science illustrée, 13 juin 1891.

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