lundi 21 septembre 2015

Comment on se baigne. Part II

Comment on se baigne. Part II.


Texte et dessins de Mars.


La cabine roulante a un grand avantage: elle permet d'aller chercher le flot là où il se trouve et de se baigner chaque jour à la même heure. A Ostende, le "grand coup de feu" se produit de dix heures et demie à midi. La vaste plage présente alors un aspect étourdissant. L'on se rue littéralement sur les cabines qui "sortent de l'eau", et les plus alertes seuls les emportent d'assaut. L'heureux mortel qui "a une cabine" s'assied alors sur l'escalier, où il ne tarde pas à s'impatienter si son prédécesseur met trop de temps à achever sa toilette. En pleine saison d'août, hommes et femmes retirent leurs chaussures et se retroussent jusqu'au dessus du genou pour courir après les cabines "que l'on retire", et les disputer à leurs concurrents. C'est une vraie fièvre, mais l'on est joliment récompensé, lorsque le conducteur vous a mené dans le flot jusqu'à mi-hauteur de roues, au centre même de la grenouillère des baigneurs: le coup d’œil est impayable.
Pas plus qu'à Boulogne, à Rosendaël-Dunkerque, à Berck, à Nieuport, et sur les mille et une plages du Nord ou de la Belgique, les sexes ne sont séparés au bain à Ostende. Il en est de même à Blankenberghe et à Heust; mais ici, le service des cabines roulantes, basses sur roues et peinturlurées à souhait, n'est pas fait au moyen de chevaux: les tenanciers de chaque groupe de cabines poussent eux-mêmes leurs petites voitures. Celles-ci sont gentiment aménagées: bancs fixes, chaises, miroir, patères, rideaux blancs aux petites fenêtres, bain de pied froid: on y est vraiment bien. Comme à Ostende et ailleurs, il faut s'attendre, pendant qu'on se r'habille, à voir pousser plus loin la cabine, lorsque le flot remonte, ce qui nous fait faire parfois de déplaisantes cabrioles: mais l'on s'y fait vite!
Ce qui est plus fâcheux, c'est d'oublier le numéro de sa cabine, surtout lorsqu'on l'a déplacée. 



A preuve l'infortunée miss blonde demandant à un guide-baigneur flamand le niouméro de son bathing machine:- Si vous ne le savez pas vous-même, comment c'que tu veux que moi ze le sache! fut toute la réponse de l'impassible loup de mer!
Un autre détail intéressant: sur toute la côte plate de Flandre et de Hollande, les guides-baigneurs sont doublés de guides-baigneuses, à l'inverse de ce qui se passe en France où l'on trouve naturel qu'un vigoureux gaillard, appelé maître-baigneur, s'empare des belles dames, comme Dupuis, des Variétés dans Niniche

Et, en deux leçons,
En fasse des poissons!

C'est à des femmes que l'on confie le soin de rassurer les poltronnes, d'apprendre à nager ou de faire faire la planche aux décidées, de donner, au moyen d'un sceau, la douche salutaire aux nerveuses qui réclament du ton! 



Aux hommes les hommes, aux femmes les femmes! Mais la luthérienne Hollande a poussé le rigorisme plus loin que la débonnaire Belgique. Séparation absolue des sexes, dans les eaux néerlandaises. A Scheveningue, à Zandvoort, à Wijk ou à Katwijk-an-Zee, côté des dames, côté des messieurs. A Scheveningue, comme nous étions en train de lorgner le bain des dames, il nous est même arrivé ceci, qu'un policeman casqué, s'il vous plait, solennel et ferme, nous a dit d'un ton formel, en bon français: - Ça est non pas permis, sais-tu mocheu, pour lorgner les baigneuses!- Eh bien, c'est joliment dommage! répliquâmes-nous!- Tu as raison tout de même, fit en soupirant ce gardien un peu mou de la bonne décence!
Etant donnés ces empêchements de lorgner en rond, vous croyez peut être, lecteur bénévole, que mesdames les dames se baignent en Hollande dans des atours étrangement collet-monté? Ah que nenni! Le costume courant, officiel presque, est composé d'une simple chemise de toile blanche décolletée sans manches, et agrémentée de festons! De sorte qu'au moment de regagner sa cabine,  la baigneuse est bien forcée de se rendre compte de la situation, et pour y pallier, ne trouve rien de mieux que de se faire tirer à plat ventre ou à plat dos par sa guide-baigneuse jusqu'au vaste soufflet de cabriolet  qui surplombe l'escalier de sa voiture de bain... Là, deux ou trois dernières trempettes, puis l'on escalade quelques marches, l'on se sépare de son costume, que la guide-baigneuse tord, et l'on rentre nue dans la cabine, qui, de cette façon n'est jamais mouillée: la bienséance est à peu près sauve, mais la "propreté" hollandaise l'est tout à fait!
Puisque nous voilà dans le Nord, faisons un bond jusqu'au rocher d'Héligoland, où l'on se baigne..., dans l'île d'en face, après une courte traversée, quand le temps le permet; jusqu'à Norderney, dans la mer du Nord, et à l'île de Rugen dans la Baltique, où font florès les costumes de cotonnade rouge, les festons de mauvais goût, les astragales douteuses, et les pantalons à sous-pieds qui exaspéreraient les Parisiens, mais qui émoustillent les bonnes lunettes du professor doctor Bratwurst, de l'Université de Gottingue!



En Angleterre, il faut encore distinguer le galet et le sable, ces bains ennemis. Scarboroug, la grande plage de sable, avec ses centaines de milliers de visiteurs, a relativement peu de cabines. Pourquoi? Parce que les Anglais se baignent en simple petit caleçon, sous les yeux des blondes misses attroupées le long de la balustrade de la Marine Parade, et qu'alors, dame, quand on n'est pas bâti comme le right honorable lord Adonis lui-même, on préfère se plonger tout tranquillement, chez soi ou à l'hôtel, dans une discrète baignoire remplie d'eau de mer!



Les femmes, séparées des hommes, ici comme partout dans le Royaume Uni, se sentent moins protégées que si elles avaient à leur disposition de galants sauveteurs: aussi se tiennent-elles à une corde fixée à la bathing machine, lorsque le flot entreprenant fait mine de vouloir les enlever.
Sur les plages anglaises de galets, notamment dans la Manche, mêmes cabines roulantes, mais les chevaux sont remplacés, vu la déclivité de la grève, par des chaînes s'enroulant autour de solides cabestans.

***

Passons à Jersey. Hé, hé! Les connétables de l'île ont une manière à eux de décréter la liberté des ablutions! Comme aux temps primitifs, les bains patentés de Saint-Hélier si composent d'anfractuosités dans les rochers, et les costumes ne comportent pour aucun des deux sexes, séparés d'ailleurs, la plus légère feuille de figuier!
A Saint-Clément-Bay, les bains sont organisés à l'anglaise: cabines roulantes, attelé d'un cheval monté par un jockey. Sur les quarante autres plages, de sable, de galet ou de rocher, qui enguirlandent cette île délicieuse, l'on se baigne comme on peut. Il nous souvient de certain plongeon à la grève de Lecq. Aucune espèce de bain "organisé". Il faisait superbe et nous voulions coûte que coûte, nous tremper dans l'onde amère. Eh bien! mais, l'hôtelier de l'endroit nous prêta obligeamment des pelisses de sa femme, et nous pûmes traverser ainsi la table d'hôte pour nous rendre au bain et pour en revenir, au grand ébahissement des luncheurs.
A Plémont, c'est plus simple: on se déshabille dans les rochers. Cela se passe souvent ainsi, d'ailleurs en Bretagne. A Portrieux-Saint-Quay, par exemple, dans une des anses garnies de rochers effondrés, car dans les autres, de sable, de galet, l'on se baigne suivant les rites consacrés par la civilisation.





***

A Saint-Malo, l'un des grands attraits du bain est une planche flottante, sur laquelle les nageurs vont se reposer en des postures pittoresques.
A Frégastel, il n'y a de cabines que pour les dames et "messieurs les ecclésiastiques". Il faut dire que ces cabines dépendent d'un vaste hôtel tenu par des nonnes, lesquelles vous prient, à en croire un écriteau placé sous le péristyle, "de ne point agiter les sonnettes, les religieuses vous apportant tout ce dont vous pouvez avoir besoin."
A Dinard, à Saint-Lunaire, à Paramé, sable fin, cabines roulantes, costumes soignés.
A Saint-Briac et sur les plages avoisinant le cap Fréhel, c'est le triomphe du costume bon enfant, du chapeau de paille à coup de poing et des bruyants éclats de rire.
A Granville, à Trestaou, les cabines mobiles, garée entre les rochers, sont portées à bras jusqu'au flot, comme des chaises à porteur.



Enfin, si nous remontons jusqu'aux petites plages de famille du Calvados, nous ne trouvons guère que des cabines fixes. A Saint-Aubin, à Langrune, les cabines roulantes sont inconnues, et il ferait beau entendre les protestations des mamans et les cris des bébés si une lourde machine traînée par un cheval venait traverser les groupes disséminés sur la plage, bouleverser les fortifications en sable des uns, interrompre les broderies des autres. Les costumes sut toute cette partie de la Normandie, sont des plus simples. On ne vient pas là pour se montrer, pour faire du genre, mais uniquement pour se reposer.
Et c'est ce besoin de repos qui pousse nombre de Parisiens à rechercher des stations plus tranquilles encore. Une foule de petits villages ignorés, tant en Normandie qu'en Bretagne, deviennent ainsi des plages naissantes.




Dans le midi, sur la côte ligure notamment, la gaieté rend communicatif, au bain, il n'est pas rare, à Savonne ou sur la plage de sable d'Alassio, de voir tous les baigneurs, hommes et femmes, étrangers l'un à l'autre pour la plupart, se prêter pour poser en groupe compact, qui en maillot, qui en simple caleçon, devant l'appareil d'un intelligent photographe, qui vendra à chacun des baigneurs ce petit souvenir de leurs communs ébats.

                                                                                                                         Mars.

L'Illustration, samedi 11 juillet 1891.

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