vendredi 21 août 2015

Le jardin du Luxembourg.

Le jardin du Luxembourg.


Mme de Sévigné raconte, dans une lettre célèbre, toutes les plaintes que lui adressèrent les Faunes et les Dryades quand elle vint visiter sa terre des Rochers où le guidon avait fait un terrible abatis d'arbres pour payer ses dettes aux dépens des Nymphes bocagères. Dieu me garde de manquer de respect à nos édiles au point de comparer ces graves personnages à un guidon! Des têtes carrées comme les leurs ont toujours les meilleurs raison du monde pour faire ce qu'elles font, et je n'ai ni le droit ni l'envie de discuter leurs raisons. Je n'ai qu'un point de vue dans cette question; celui des promeneurs, des bonnes d'enfants, de M. Guguste, de M. Jujules, de Mlle Lili et de son cousin Lucien, les voyageurs d'Hetzel, des écoliers, des moineaux francs, des hirondelles et des artistes. 



Je préfère infiniment un buisson de lilas à une toise de moellons, et je n'ai jamais pu assister à l'exécution d'un arbre sans porter son deuil dans mon cœur. Peut-être dois-je cette disposition d'esprit à mon vieil ami Jean-Basile Thomas, le bûcheron de la Nièvre, qui avait coutume de dire qu'il fallait plus de temps pour faire un arbre que pour faire un homme. Je dois avoir tort, très-certainement puisque MM. les édiles ont raison; mais je n'en suis pas moins sorti, le cœur serré, du jardin du Luxembourg, d'où la pépinière, au moins en grande partie, et le jardin botanique sont en train de disparaître.
Ne me demander pas la description de cet abatis d'arbre. J'aime mieux vous renvoyer à la gravure qui vous montrera qu'il me serait pénible de vous raconter, et ce que je courrais risque, peut être, de raconter inexactement. Pour moi, tout se réduit à ceci: les arbres s'en vont et les moellons arrivent!



Les arbres s'en vont si bien, que j'en ai rencontré deux de grande taille, deux marronniers qui, après avoir été plantés le même jour, avait grandi ensemble, ensemble enduré la chaleur du midi, ensemble les rosées bienfaisantes dans la coupe du matin, ensemble ombragé les têtes blondes des enfants, se séparaient pour aller chercher de nouvelles destinées. Tous les arbres du Luxembourg, en effet, marqués par le marteau, ne sont pas destinés à être équarris. Il en est qui sont condamnés seulement à la déportation. ils subissent la loi de l'ostracisme athénien, et, enlevés avec leurs racines en motte, ils s'expatrient.
Les deux marronniers qui sortaient presque en même temps que moi du jardin du Luxembourg avaient deux destinations toutes diverses: l'un devait aller reverdir, s'il pouvait, devant le palais qu'on élève pour l'Exposition universelle de 1867; l'autre devait orner le square situé en face de la nouvelle église de la Trinité. ces deux grands exilés étaient obligés de faire un long détour pour aller chercher le lieu de leur exil. Quelques larges que soient nos nouvelles rues, elles n'ont pas été mesurées de manière à avoir des marronniers de haute taille pour passants, et d'ailleurs leur front sourcilleux auraient brisé, en traversant certaines voies, les fils aériens qui rejoignent les postes télégraphiques ensemble. La nuit, si prompte à arriver dans cette époque de l'année, tombait déjà. La brume épaisse qui envahissait l'atmosphère rendait l'obscurité plus profonde encore. Était-ce une illusion produite par la disposition de mon esprit? Étaient-ce les volées d'oiseaux effarés qui, accoutumés à faire leur nid dans les ramures de ces arbres, les suivaient dans leur étrange voyage avec de petits cris? Était-ce la brise hivernale qui sifflait dans les branches dépouillées? Je ne sais. Mais il me semblait entendre, au-dessus de ma tête, comme un bruit de paroles tristes et comme un murmure d'adieu.
Quoi! dans cette période d'instabilité universelle, les arbres eux-mêmes ne sont pas sûrs de mourir à l'endroit où ils sont nés! Ces rois des jardins sont obligés aussi de quitter leur place! Les arbres qu'a chanté Horace et qui se plaisaient à marier leurs ombrages hospitaliers eussent été, de notre temps, condamnés à se séparer. C'est en vain que la nature les a attachés au sol par de puissantes racines; l'homme qui ne supporte point le repos, n'en laisse pas autour de lui. Il crie à l'arbre lui-même: "Marche!" et l'arbre marche; il l'arrache du sol en y laissant une partie de ses racines, comme l'exilé laisse une partie de son cœur à sa patrie, et il va vivre et mourir ailleurs! Et la terre qui l'a vu naître et qu'il abritait de son ombre protectrice, comme ces fils vaillants devenus protecteurs de leur mère, le pleure; et les oiseaux habitués à chanter et à nicher sur ses branches quand la brise printanière lui rendait ses feuilles, font cortège, avec des cris aigus, au char qui l'emporte, comme on fait cortège au char des funérailles! Et le philosophe et le poëte qui sont venus souvent méditer ou rêver sous ses branches le voient passer avec une indicible tristesse et lui envoient une pensée d'adieu.
Adieu! il semble que des voix inconnus murmurent vaguement à travers l'espace ce mot qui retentit si douloureusement dans le cœur. Adieu! Est-ce que les jardins ne deviennent pas une patrie pour les arbres et les fleurs qui les habitent? Est-ce qu'un lien secret ne s'établit pas entre ces plantes et ces grands végétaux qui, réunis dans un enceinte verdoyante, forment un tout harmonieux? Est-ce que ces deux arbres que l'on sépare n'étaient pas deux concitoyens, deux frères? Éloignes l'un de l'autre par un caprice de l'homme, est-ce qu'ils ne penchent pas une dernière fois leurs cimes pour saluer ces tronc inanimés qu'ils laissent gémissant sous la scie? Est-ce qu'avant de se quitter ils n'ont pas rapproché dans un mutuel embrassement leurs branches, et n'y a-t-il point là tout un adieu?
Ainsi je méditais, ainsi je rêvais, et les beaux vers de Victor de Laprade sur la Mort d'un chêne me remontaient à la mémoire, et semblaient sonner le glas des arbres du Luxembourg:


Quand l'homme te frappa de sa lâche cognée,
O toi qu'hier le mont portait avec orgueil
Mon âme au  premier coup retentit indignée
Et dans la forêt sainte il de fit un grand deuil.

                                                                                                                        Félix-Henri.

La Semaine des Familles, samedi 19 décembre 1866.

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