mardi 7 juillet 2015

Le marchand de pommes de terre cuites.

Le marchand de pommes de terre cuites.


La pomme de terre occupe également sa place sur la table du riche et sur celle du pauvre; mais c'est surtout parmi les Anglais qu'elle jouit d'une préférence marquée.
Nos voisins d'outre-Manche mangent peu de pain, il n'est pas même rare d'en trouver qui font un bon dîner sans casser une croûte, mais aucun ne saurait manger sans avoir de pommes de terre.
Quand les Français dînent à table avec des Anglais, ils sont tout étonnés de se voir servir un tout petit morceau de pain qui ferait très-bien le dîner d'un Anglais, mais qui fournit à peine au Français deux ou trois bouchées. La meilleure chose, dans ce cas, c'est, lorsqu'on vous présente de nouveau le plateau où se trouvent ces petits carrés de pain, d'imiter la prévoyante fourmi et d'en faire une provision pour le reste du dîner, si vous ne voulez pas scandaliser et les convives et les domestiques par vos demandes réitérées: "some bread, if you please".
En revanche l'on vous sert, il est vrai, de bonnes et belles pommes de terre, dont vous pouvez prendre à discrétion. De plus, les Anglais mangent plus de viande que nous s'ils mangent moins de pain. Cela viendrait-il de la différence d'éducation dans les deux pays?
En France, on recommande aux enfants de manger beaucoup de pain et pas de viande, tandis que c'est le contraire en Angleterre.
Malgré cette préférence accordée à la pomme de terre, les Anglais ne connaissent guère qu'une manière de consommer ce tubercule; ils connaissent à peine les pommes de terre frites et les mille formes sous lesquelles nos cuisinières font paraître nos parmentières sur nos tables; chez eux, elles sont presque toujours servies au naturel, comme les légumes en général, et elles ne se montrent guère à leur table qu'en déshabillé, ou du moins en robe de chambre. L'usage si général de la pomme de terre parmi les Anglais peut aussi venir de la nature particulière du sol qui ne produit pas assez de blé pour faire vivre les habitants de l'île, mais qui donne une quantité suffisante de "potatoes". On sait, en effet, que dans certains pays pauvres de l'Angleterre, et surtout dans l'Irlande, la pomme de terre remplace le pain. Avec ce goût que les Anglais ont pour les "potatoes" et la nécessité où se trouvent les pauvres de recourir à cet aliment à bon marché, il ne faut pas s'étonner de trouver établie, dans les rues de Londres, une industrie qui répond à ce besoin.
Si les pommes de terre frites sur le Pont-Neuf ou ailleurs offrent quelque attrait à l'homme du peuple à Paris, la pomme de terre bouillie "baked potatoe" est aussi pour l'ouvrier ou pour le pauvre une grande ressource à Londres. Aussi l'on rencontre, aux coins des rues ou sur les places publiques, les marchands de pommes de terre cuites "baked potatoes". Nous en avons vu un entre autres qui se tient généralement dans Trafalgar square et que nous avons essayé de représenter dans le dessin ci-joint.



Il a devant lui, placée sur un grand support de bois à quatre pieds, une assez grande marmite en fer-blanc où il fait bouillir des pommes de terre, qu'il étale ensuite toutes fumantes sur une plaque où se trouvent aussi une salière et une poivrière pour l'assaisonnement nécessaire, selon le goût des consommateurs. L'aspect de ces pommes de terre, à demi crevées, présentant une chair blanche et farineuse, est des plus appétissants.
Nous n'avons pu résister à l'attrait d'y goûter, mais le marchand s'étant chargé de l'assaisonnement, après avoir fendu à demi avec son couteau une pomme de terre, y a fait pleuvoir un nuage de poussière de poivre qui nous a forcé d'éternuer. Il nous traitait ainsi comme il traite ses compatriotes qui versent toute une poivrière pour assaisonner leurs mets, et il a été surpris et presque offensé de nous voir refuser le tubercule. C'est là toutefois que, pour un penny, le pauvre vient acheter son repas, et, quand le penny lui manque, il va au workhouse.
Le marchand de pommes de terre cuites est une personnalité curieuse, parmi les représentants des petites industries qui s'exercent dans les rues de Londres.

                                                                                                                        Tom Bob.

La mosaïque, Revue pittoresque illustrée de tous les temps et de tous les pays, 1878.

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