mardi 28 avril 2015

Un procès criminel au dix-septième siècle.Part I

Un procès criminel
   au dix-septième siècle. (1)  
                      
                           Part I



En l'année 1620, le reine mère Marie de Médicis donna au chœur de l'église Notre-Dame de Chartres "une lampe d'or fin cizelé pesant 23 marcs, avec un dôme enrichi de peintures et de dorures, pour honorer les relicques qui y sont d'une des chemises et du laict de la Vierge mère de nostre sauveur."
Cette lampe, où brûlait jour et nuit un luminaire de cire blanche, pour l'entretien duquel la reine avait constitué, le 15 novembre 1621, une rente de 360 livres, n'était pas un des moindres ornements de la riche cathédrale et faisait l'admiration de tous ceux qui visitaient le saint temple. Malheureusement, elle devait aussi exciter la cupidité des voleurs; et le 25 juillet 1690, sur les quatre heures du matin, les officiers qui couchaient dans l'église s'aperçurent à leur réveil que la lampe avait disparu. Les cierges étaient éteints, et par ce qui en avait été brûlé, on pouvait juger que le vol avait eu lieu entre onze heures et minuit; une échelle placée contre le chœur indiquait assez comment le crime avait été commis.
On courut aux portes, on les trouva toutes fermées, à l'exception de la porte royale qui était encore entr'ouverte; on avait forcé une des mailles de la chaîne de fer qui tient la barre de ladite porte, et l'on s'était enfui par là. Grande fut la rumeur; aussitôt, à la requête du procureur fiscal, l'instruction criminelle fut commencée par le maire de Loens, juge naturel du chapitre de l'église de Chartres. (2) Les sept officiers qui couchaient dans l'église furent arrêtés et interrogés; ils convinrent n'avoir point fait de recherches le soir avant de se coucher et n'avoir point fermé la porte du chœur, du côté de la sacristie; ce qui donna lieu de décréter contre eux. 
Sur les onze heures du matin, on vint rapporter au greffe de la mairie de Loens un écusson en or, aux armes de Marie de Médicis, qu'un enfant avait trouvé le matin sur le bord de la fontaine Saint-André, et qu'on reconnut pour celui qui décorait la lampe volée. Le procureur fiscal se rendit à la fontaine et fit faire des recherches dans le ruisseau qui l'avoisine; on y découvrit un petit étau où il y avait une lime carrée, une autre lime plate, et des tenailles qu'on fit déposer au greffe.
Cependant le bruit du vol s'était répandu dans la ville, et aussitôt la voix publique en accusa Robert-François Duhan, contrôleur principal des guerres, âgé d'environ vingt-huit ans, homme de mauvaises mœurs, mais d'une des bonnes familles de la ville de Chartres; un de ses parents du même nom qui lui était dans le chapitre. La veille au soir, sa femme et sa servante avaient dit à plusieurs personnes que Duhan était sorti depuis longtemps et qu'elles l'attendaient; et sur le minuit les voisins l'entendirent rentrer et parler à sa femme. Plusieurs habitants demandèrent à voir les instruments déposés au greffe comme pièces de conviction, mais on leur refusa cette permission. On supposa que les chanoines, voyant les soupçons portés sur Duhan, cherchaient, par égard pour un homme dont plusieurs d'entre eux étaient parents, à détourner l'opinion publique et à sauver le coupable. On eût voulu assoupir l'affaire; et l'un des principaux du chapitre se rendit avec la mère de Duhan chez celui-ci, le suppliant de rendre la lampe, et qu'il n'en serait jamais parlé; que si elle était rompue, qu'il avouât son crime et que l'on se chargerait d'en refaire une semblable.
Duhan soutint son innocence; mais pendant ce temps l'instruction marchait, quoique lentement, et une nouvelle charge survint contre lui. On avait trouvé sous un banc une corde que le voleur avait sans doute apportée pour s'en servir au cas où il n'aurait pu avoir d'échelle; on se présenta chez plusieurs cordiers de Chartres pour leur faire reconnaître cette corde; et la veuve Loreau déclara, le 2 août, que c'était elle qui l'avait vendue à un homme vêtu de brun, ayant perruque et le visage picoté de vérole, ce qui convenait parfaitement à Duhan. 
Tout se réunissait donc pour accabler celui-ci; mais on tentait d'autant plus tous les moyens pour le sauver. Antoine Rigoullet, le chefcier, vint à mourir, et le maire de Loens, déclarant qu'on ne pouvait découvrir les coupables, voulut faire saisir les biens de Rigoullet et le rendre responsable de la perte de l'église. Les officiers se récrièrent contre une pareille décision, et en appelèrent au parlement pour déni de justice.
L'affaire se compliquait. Il fallait trouver un coupable: alors, le curé de Saturnin, de la ville de Chartres, ami particulier de la famille de Duhan, inspira à la veuve Loreau de revenir sur sa déposition de 2 août, et le 5 octobre, cette femme fort âgée et infirme (3), vint déclarer qu'après avoir rappelé ses sens, elle se souvenait avoir vendu ladite corde à jacques Aubry, dit la Chapelle, maître des œuvres de la charpenterie de la ville de Chartres et soldat aux gardes françaises en la compagnie du sieur de Cheviray; qu'elle était maintenant certaine que c'était bien à lui, parce qu'elle se rappelait parfaitement sa figure, l'ayant élevé dans sa jeunesse pendant qu'elle servait chez son père, hôtelier à Chartres. Aussitôt le chapitre envoya cette déposition au parlement.
Aubry était alors de garde à Versailles, près la personne du roi, et Louis XIV ayant appris cette dénonciation, ordonna au maréchal duc de la Feuillade, colonel des gardes françaises, d'examiner la conduite d'Aubry et de lui en rendre compte. Le duc de la Feuillade répondit qu'Aubry était un des plus sages du régiment, que hors le temps de ses gardes, il travaillait de sa profession de charpentier, que dans les guerres il avait fait plusieurs belles actions, et que, depuis ledit vol, il avait toujours été vu sans aucun or ni argent. Le roi, persuadé de l'innocence d'Aubry, dit au duc de la Feuillade de lui conseiller d'aller à Chartres se purger d'une aussi calomnieuse accusation. Aubry n'hésita pas; il alla se constituer prisonnier le 10 octobre, et le même jour il fut interrogé par le maire de Laens. Il répondit qu'il était venu à Chartres, le 22 juillet, par ordre et pour affaire de son capitaine, et pour vendre son office de maître des œuvres de charpenterie; que le matin du 24 juillet il était sorti de la ville, à neuf heures, pour aller dîner chez Simon Aubry, son frère, hôtelier au pont Tranchefétu, chez lequel il coucha la même nuit que le vol fut commis, dans une chambre où coucha aussi le sieur Caurvoilier, marchand de réputation à Chartres, et que le lendemain, jour de Saint-Jacques, il en partit à huit heures du matin avec sa belle-sœur pour aller à la grand'messe du village de Fontenay, où il fut vu par le curé qui le pria de dîner, et par tous les habitants; qu'il reconduisit sa belle-sœur avec laquelle il dîna, vint souper avec le curé, et retourna coucher chez Simon Aubry, au pont Tranchefétu.
L'innocence du soldat paraissait assez évidente d'après ses réponses. Cependant on le retint en prison et l'on ne fit aucune nouvelle instruction, espérant que le temps finirait par assoupir l'affaire.
Mais il arriva un incident qui servit de prétexte à la cour des monnaies de connaitre du vol de ladite lampe. Blaise Duval, orfèvre à Abbeville, porta des lingots d'or à la monnaie d'Amiens; et, sur les ordres donnés par tout le royaume d'arrêter ceux qui exposeraient de l'or fondu ou rompu, le lingot d'or exposé par Duval fut retenu à la monnaie d'Amiens, et le directeur lui donna une restriction pour en recevoir le prix à la Monnaie de Paris. Duval ayant envoyé ladite rescription à François Bridou, celui-ci fut arrêté à Paris, et Duval à Abbeville, d'où il fut depuis transféré à Paris. Ils avouèrent que l'or porté à Amiens provenait de pistoles d'Espagne et autres espèces que Duval avait fondues et que Bridou lui avait fournies. Il fut fait des essais de l'or qui se trouva au même titre que celui de la lampe volée, si bien qu'on les retint tous deux prisonniers.
La cour des monnaies commit alors, le 14 novembre 1690, Me Jean-Michel Favières, conseiller, pour informer à Chartres et décréter. Ce conseiller s'y transporta avec Deshayes, substitut du procureur général, et Edme Bataille, commis greffier; ils se firent représenter les procédures et l'instruction du juge de la temporalité, et s'en rendirent les maîtres; ils firent même une nouvelle information. Mais, soit qu'ils eussent été persuadés par les raisons du chapitre, soit qu'ils eussent été gagnés par une somme de 40.000 livres que donna la famille de Duhan, ils abandonnèrent l'accusation contre ce dernier, et firent transférer Aubry de Chartres à Paris pour continuer la procédure contre lui.

(1) Ce procès est peu connu même des Chartrains. Il n'a jamais été publié avec les détails que l'on trouvera ici. Ce document intéresse surtout par les incidents de la procédure, qui montrent de quelle manière on rendait la justice à la fin du dix-septième siècle. Il donne aussi une preuve nouvelle du peu de foi que l'on pouvait avoir dans l'odieuse pratique de la question.
(2) L'affaire était, en effet, tout ecclésiastique. Le lieutenant criminel du bailliage de Chartres s'était transporté sur les lieux et avait dressé son procès-verbal; mais ayant constaté que le vol avait été commis sans effraction, par des personnes enfermées dans l'église, il avait abandonné la connaissance de l'affaire au maire de Loens, seul juge en matière ecclésiastique.
(3) Elle fut nourrie jusqu'à sa mort aux frais du chapitre, dans la maison du sieur Lécuyer, bourgeois de Chartres.

                                                                                                                                              à suivre.....

Magasin pittoresque, avril 1853.

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