mardi 28 avril 2015

La course à âne.

La course à âne.


Les voilà près du but! Vainement l'un des concurrents excite de la voix et du geste sa monture haletante, l'autre lève les mains et pousse le cri de la victoire, et répond déjà aux acclamations de la foule.



Encore un instant, et, debout près de son âne, il va recevoir la récompense promise! Il fera le tour du cercle des spectateurs en écoutant leurs félicitations; il rentrera chez lui enrichi et glorieux comme un athlète des jeux Olympiques, tandis que maître Aliboron, le véritable vainqueur, retournera à son écurie pour y retrouver sa paille et ses chardons.
Triste symbole de la plupart des victoires remportées ici-bas! Qui de nous n'a ainsi confisqué à son profit des succès préparés ou conquis par d'autres? N'avons-nous pas tous un âne grâce auquel nous atteignons le but?
Généraux, que de vaillants soldats font triompher; capitaliste devenus millionnaires en utilisant pour vous les deniers que le pauvre vous confie; écrivains venus à point qui exploitez l'idée à laquelle cent autres ont préparé la voie; hommes d'état que l'engouement populaire porte au pouvoir; artiste qu'un heureux hasard prend en croupe et conduit brusquement à la célébrité; héritiers qui recueillez en dormant la fortune acquise par la patience laborieuse d'un parent inconnu: que de gens font la course à âne sans s'en douter!
Honneur du moins à celui qui, après la victoire, ne néglige pas sa monture! L'écueil ordinaire pour tout homme est d'oublier les humbles instruments de sa réussite! Depuis sa nourrice qui, en veillant à ses premières années, lui a assuré les forces dont il a profité, et le maître d'école qui lui a ouvert les premières portes du monde de l'intelligence, jusqu'au serviteur de tous les jours qui, en prenant à sa charge les détails matériels de la vie, lui laisse le loisir de penser, jusqu'à la foule d'éducateurs connus ou invisibles qui l'ont insensiblement fait ce qu'il est, combien de secours méconnus, de moyens oubliés! et qu'il est rare au moment des triomphes de se rappeler les modestes montures auxquelles nous les devons!
Ces réflexions, nous les faisions tout bas en suivant du regard une de ces courses d'ânes, si fréquentes en Italie et dans le midi de la France; elle ne nous empêchait pas de nous intéresser à la lutte de ces courageux animaux, calomniés par le préjugé populaire, mais réhabilités par Buffon.
Dans la plupart des provinces de la France, nous voyons l'âne surchargé de travail, mal nourri, mal soigné, livré à une espèce de mépris que n'a point dissipé son utilité; et nous ne pouvons, par suite, bien juger de son aspect, de ses instincts, ni de ses aptitudes. La race, abâtardie par notre faute, est loin de celle que l'on rencontre dans les contrées méridionales où nos préjugés ne semblent point avoir pénétré. Là, vous trouvez des ânes plein de feu, dont les formes délicates et le brillant pelage ne déshonoreraient aucun cavalier. Il serait à désirer que les encouragements donnés à notre pays, avec plus ou moins de succès, à l'amélioration des chevaux, se détournassent un peu vers cette race plus utile encore peut-être, en ce qui correspond aux plus humbles besoins et qu'elle est le recours obligé aux plus humbles laboureurs.

Magasin pittoresque, mars 1853.

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