lundi 9 mars 2015

Cartes de visite.

Cartes de visite.

Voilà un sujet qui est bien d'actualité. Déjà, on s'apprête à envoyer aux quatre coins du monde (les quatre coins d'un globe!) les petits bristols qui rappellent à des amis lointains ceux qui ne sont pas oublieux. On dit que la mode de la carte de visite n'est plus aussi grande. Cependant un homme bien renseigné m'assure que quatre-vingts millions de cartes de visites circulent chaque année de par notre planète.

En Chine.

En Chine, on connaît depuis plus de mille an les cartes de visites. Mais dans le Céleste Empire, ce ne sont pas de petites cartes qu'on distribue, mais bien d'énormes feuilles de papier, dont la couleur et la longueur varient suivant le rang des personnages auxquels elles sont adressées. Un ambassadeur anglais, lord Mocartney, raconte qu'ayant été envoyé en mission extraordinaire dans le Céleste Empire, la cour de Pékin ordonna de le traiter avec la plus grande distinction. Les plus illustres mandarins accoururent à sa résidence. Au milieu de ces échanges de politesses et de visites courtoises, l'ambassadeur européen reçut du vice-roi de Petchilli un titsé ou carte de visite, de papier rouge et de longueur démesurée.

En France.

Chez nous, les cartes furent d'abord illustrées d'allégories, d'emblèmes mythologiques. Il y avait des colombes, des cœurs enflammés, des flèches, des bergers et des bergères, etc... Mais la Révolution n'avait que faire de ces allégories sentimentales. On fit peu de visites. Le temps n'était pas à l'étiquette.
C'est sous l'Empire que revint la mode de laisser, chez les personnes que l'on est parfois bien aise de ne point voir, un carton imprimé. Les allures de la carte de visite se ressentirent de la roideur de l'époque. Ce furent des aigles, de lourds blasons, des trophées qui figurèrent sur les cartes.

Coutumes.

A Stuttgart, capitale du Wurtemberg, la distribution des cartes de visite se faisait d'assez étrange façon, il y a une trentaine d'années. Pendant l'après-midi du jour de l'an, dans un lieu public, se tenait une sorte de foire ou de bourse aux cartes de visite. Tous les domestiques s'y donnaient rendez-vous, et là, monté sur un banc ou sur une table, un héraut improvisé faisait la criée des adresses.
A chaque nom proclamé, une nuée de cartes de visites tombait dans un panier disposé à cet effet, et le représentant de la personne à laquelle les cartes étaient destinées pouvait prendre le contenu du panier. Ainsi on se faisait des politesses sans grand chemin.

Plus tard.

La Restauration illustra les cartes de visites de fleurs de lys, d'emblèmes héraldiques, de couronnes. Le carton, très souple, devint soyeux, moiré, avec diverses teintes encadré de bas-reliefs. Sous la bourgeoisie de 1830, la carte de visite s'épaissit, s'enjoliva d'une dentelle à jour, puis s'enlumina d'une gouache, d'une aquarelle, d'une sépia, au milieu desquelles on lisait le nom de la personne. Ce fut l'époque artistique; puis elle devint très large, très dure, avec une inscription microscopique difficile à lire. C'était de bon goût! Puis ce fut le contraire: un nom énorme sur une toute petite carte! Contradiction de la mode!

En Angleterre.

Les Américains et les Anglais ont substitué aux cartes de visite les cartels qui portent des fleurs et des devises. On s'adresse ainsi tous les wishes d'usage et les greetings de circonstance. Quelques personnages ont recours aux grands journaux où ils insèrent une annonce à peu près ainsi conçue:
"A l'occasion du jour de l'an, M. X à l'honneur de présenter ses compliments sincères à ses amis et connaissances."
Mais pour que l'annonce atteigne son but, il faut connaître les journaux préférés des amis et des connaissances.

Collections.

Nombreuses sont les personnes qui font collection des cartes de visite sur lesquelles sont inscrites des mentions extravagantes et pittoresques. On dit qu'un ancien ministre a conservé toutes les cartes des quémandeurs qui s'adressèrent à lui sous les prétextes les plus variés. Cette collection prouve que les métiers et les titres sont légion. Notre confrère, M. Ernest La Jeunesse, brillant critique du Journal, a collectionné les cartes de visite drolatiques. Peut être sa collection va-t-elle s'enrichir de pièces nouvelles? C'est le moment.
Moi, je choisis la mode anglaise, et j'adresse, par l'intermédiaire du Magasin pittoresque, mes vœux à tous mes lecteurs.

                                                                                                           Lovely-Rogue.

Magasin pittoresque, 1er janvier 1913.


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