jeudi 26 février 2015

Les flagellants.

Les flagellants.

A Pérouse, prit naissance, en 1259, un de ces grands mouvements religieux dont l'histoire du moyen âge offre plus d'un exemple. 
"Tout à coup, dit un chroniqueur, la peur du jugement dernier saisit les esprits: on vit les nobles et le peuple, les vieillards et les jeunes gens, et jusqu'à des enfants de cinq ans, se réunir et aller presque nus dans les rues des villes. Ils marchaient deux à deux en procession, chacun tenant un fouet à la main, et, au milieu des gémissements et des larmes, ils se frappaient si rudement que leur sang coulait en abondance."
De Pérouse le mouvement gagna toute l'Italie et s'étendit de là en Allemagne, en Bohême et jusqu'en Pologne. Les Flagellants, car c'est ainsi qu'on les appela, marchaient non-seulement le jour, mais la nuit à la clarté des torches et des cierges, et, dit le même chroniqueur, "on en voyait des milliers précédés par des prêtres, avec des croix et des bannières, courir les cités et les campagnes, nus des épaules jusqu'à la ceinture, malgré la rigueur de l'hiver, la tête et le visage couverts pour ne pas être reconnus. Ils se flagellaient deux fois le jour pendant trente-trois jours en mémoire du nombre des années que, suivant la tradition, le Christ avait passés sur terre."
A la suite de leurs prédications, suivant le même historien, les ennemis se réconciliaient, les usuriers et les voleurs restituaient les biens mal acquis, tous les pécheurs confessaient leurs fautes, on ouvrait les prisons, on délivrait les captifs, on rappelait les exilés. Toutefois des pratiques et des doctrines hétérodoxes furent bientôt introduites par les nouveaux pénitents. Ainsi ils prétendaient que personne ne pouvait être absous de ses péchés s'il ne faisait un mois la pénitence qu'ils s'étaient imposée et qui, suivant eux, était utile aux morts, même à ceux qui étaient en enfer ou en paradis.
Les princes des pays parcourus par les flagellants, entre autres Mainfroi, roi de Sicile, Henri, duc de Bavière, et les évêques d'Allemagne et de Pologne s'effrayèrent de ces rassemblements tumultueux, et prirent contre eux des mesures rigoureuses qui parvinrent à les dissiper.
Quatre-vingt-dix ans plus tard, les mêmes faits se renouvelèrent après une peste terrible qui avait ravagé une partie de l'Europe. Au mois de juin 1349, dit un chroniqueur, il vint de la Souabe à Spire deux cents hommes sous la conduite d'un chef et de deux autres supérieurs. Ils passèrent le Rhin dès le matin au milieu d'une foule immense, firent devant l'église de Spire un grand cercle, au milieu duquel ils se déshabillèrent, ne gardant qu'un vêtement qui les couvrait depuis la ceinture jusqu'aux talons. Ils marchèrent ainsi en procession autour du cercle, se prosternèrent l'un après l'autre, les bras étendus en croix. Ceux qui étaient au dernier rang passèrent sur les corps des premiers en leur donnant un petit coup; puis ceux-ci se levèrent à leur tour en se flagellants eux-mêmes de leurs fouets, dont les nœuds étaient armés de quatre pointes de fer. Après cette cérémonie, un d'entre eux lut au peuple assemblé une lettre qu'un ange, disait-il, avait apportée à Jérusalem. Elle annonçait que pour calmer la colère de Dieu, irrité contre les péchés du monde, il fallait que chacun se bannît de chez lui et se flagellât pendant trente-quatre jours.
A Spire, les flagellants recrutèrent environ cent personne pour la confrérie, et plus de dix mille à Strasbourg. Pour être admis, il fallait jurer, entre autres choses, obéissance aux chefs, et, afin, de n'être pas obligé de mendier, avoir assez d'argent pour dépenser quatre deniers par jour. Les gens mariés devaient prouver qu'ils avaient eu le consentement de leurs femmes.
Les flagellants ne recevaient des aumônes que pour leur communauté, et ces aumônes étaient destinées à acheter des torches et des bannières. Ils se flagellaient deux fois le jour, le matin et le soir, soit dans la ville, soit dans la campagne, et une fois la nuit en secret. Ils portaient des croix rouges à leurs habits et à leur bonnet. En général ils ne demeuraient pas plus d'une nuit à chaque paroisse, excepté le dimanche où ils s'arrêtaient deux nuits.


D'Allemagne, les flagellants se répandirent en France.
"Cette gent, dit un chroniqueur, vint premièrement de la langue thioise, comme de Flandre, de Brabant, de Hainaut, et ne passa point Lille, Arras et les frontières de Picardie. Mais assez tôt après s'en émurent plusieurs et par plusieurs tourbes de Lille, de Tournai et des marches d'environ, et vinrent en France jusqu'à Troies en Champagne, et jusques à Reims; mais ils ne passèrent point plus avant. Le roi de France, Philippe VI, manda par ses lettres que l'on les prit par tout son royaume, où l'on les trouverait faisant leurs cérémonies. Mais nonobstant ce, ils continuèrent leurs folies, et multiplièrent de telle manière, que dans le Noël ensuivant, ils furent bien huit cent mille et plus, si comme l'on tenait fermement. Mais ils se tenaient en Flandre, en Hainaut et en Brabant, et y avait grand'foison de grands hommes et de gentilshommes."
M. Leroux de Lincy, dans le premier volume du recueil des Chants historiques français, a publié deux cantiques en langue vulgaire que chantaient les flagellants.
Au siècle suivant, en 1414, une nouvelle secte de flagellant apparut à Sangerhausen dans le marquisat de Misnie. Ceux qui en faisaient partie se nommaient Frères de la croix, et les doctrines hétérodoxes qu'ils professaient, ils disaient les tenir d'une lettre apportée par les anges sur l'autel de Saint-Pierre. Cette hérésie fut de courte durée, et les principaux sectaires condamnés au supplice périrent sur le bûcher.
On se rappelle qu'en 1583, Henri III établit à Paris des confréries de flagellants, aux processions desquelles il assistait avec toute sa noblesse.

Magasin pittoresque, octobre 1849.

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