mardi 3 février 2015

Cathédrale d'Evreux.

Cathédrale d'Evreux.


On célébrait anciennement, à Notre-Dame d'Evreux, une fête singulière que l'on appelait la cérémonie de Saint-Vital. Le premier jour de mai, le chapitre avait coutume d'aller au Bois-l’Évêque, près de la ville, couper des rameaux de petites branches, pour en parer les images des saints dans les chapelles de la cathédrale. Les chanoines firent d'abord cette cérémonie en personne; mais dans la suite, ils y envoyèrent leurs clercs de chœur; ensuite tous les chapelains de la cathédrale s'y joignirent; enfin, les hauts vicaires ne dédaignèrent point de se trouver à cette étrange procession, nommée la procession noire
Les clercs de chœur, qui regardaient cette commission comme une partie de plaisir, sortaient de la cathédrale deux à deux, en soutane et bonnet carré, précédés des enfants de chœur, des appariteurs ou bedeaux, et des autres serviteurs de l'église, avec chacun une serpe en main, et allaient couper ces branches qu'ils rapportaient eux-mêmes ou faisaient rapporter par le peuple, empressé à leur rendre ce service et les couvrant tous pendant la marche, d'une épaisse verdure, ce qui, dans le lointain, faisait l'effet d'une forêt ambulante.
On sonnait toutes les cloches de la cathédrale pour faire connaître à toute la ville que la cérémonie des branches et celle du mai étaient ouvertes. Il arriva une année que l'évêque défendit cette sonnerie. Les clercs de chœur ne tinrent point compte de cette défense. Ils firent sortir de l'église les sonneurs qui, pour la garder, y avaient leurs logements. Ils s'emparèrent des portes et des clefs pendant les quatre jours de la cérémonie, et sonnèrent à toute outrance. Il paraît certain qu'ils poussèrent l'insolence jusqu'à pendre par les aisselles, aux fenêtres d'un des clochers, deux chanoines qui y étaient montés de la part du chapitre pour s'opposer à ce dérèglement.
Ces deux chanoines s'appelaient, l'un Jean Mansel, trésorier de la cathédrale, l'autre Gauthier Dentelin. Ces faits se passèrent vers l'an 1200. D'autres abus s'introduisaient dans ces cérémonies. La procession noire était une occasion de toutes sortes d'extravagances: on jetait du son dans les yeux des passants, on faisait sauter les uns par dessus un balai, on faisait danser les autres. Plus tard, on se servit de masques, et cette fête, à Evreux, fit partie de la fête des Fous et de celle des Saoult-Diacres. Les clercs de chœur, revenus dans l'église cathédrale, se rendaient maîtres des hautes chaires et en chassaient, pour ainsi dire, les chanoines qui allaient jouer aux quilles sous les voûtes de l'église, et y faisaient des concerts et des danses.
Un chanoine diacre nommé Bouteille, qui vivait vers l'an 1270, fit une fondation d'un Obit, le 28 avril, jour auquel commençait la fête que nous venons de décrire. Il attacha à cet Obit une forte rétribution pour les chanoines, hauts vicaires, chapelains, clercs, enfant de chœur, etc. , et, chose singulière, il voulut que l'on étendit sur le pavé, au milieu du chœur, pendant l'Obit, un drap mortuaire aux quatre coins duquel on mettrait quatre bouteilles pleines de vin, et une cinquième au milieu, le tout au profit des chantres qui auraient assisté à ce service. Cette fondation du chanoine Bouteille avait fait appeler dans la suite le Bois l’Évêque, où la procession noire allait couper ces branches, "le bois de la Bouteille", et cela parce que, par une transaction faite entre l'évêque et le chapitre, pour éviter le dégât et la destruction de ce bois, l'évêque s'obligea à faire couper, par un de ses gardes, autant de branches qu'il y aurait de personnes à la procession, et de les faire distribuer à l'endroit d'une croix qui était proche du bois. Durant cette distribution, on buvait, et l'on mangeait certaines galettes appelées casse-museau, à cause que celui qui les servait aux autres les leur jetait au visage d'une manière grotesque. Le garde de l'évêque, chargé de la distribution des rameaux, était obligé, avant toutes choses, de faire, près de cet endroit, deux figures de bouteille qu'il creusait sur la terre, remplissant les creux de sable, en mémoire et à l'intention du fondateur Bouteille.
Tous ces faits étranges sont racontés avec détails dans un article du Mercure de France de 1726, qui paraît avoir été rédigé par un ecclésiastique d'Evreux. Du reste, la cathédrale d'Evreux se recommande beaucoup moins par ces souvenirs singuliers que par sa belle architecture, ses sculptures en pierre et en bois, et ses vitraux.



Cette église, dit le Calendrier historique d'Evreux pour 1749, a été ruinée tant de fois qu'on ne saurait se former une idée de ce qu'elle a été. Tout de qu'on en sait de positif, c'est qu'après qu'elle eut été détruite par Henri I, roi d'Angleterre et duc de Normandie, en 1125, ce prince la fit rebâtir d'une si grande magnificence, que Guillaume de Jumièges, qui l'avait vue, ne craint pas d'affirmer, dans son Histoire, qu'elle était la plus belle de toutes les églises de Normandie.
Il n'est point probable que Henri I d'Angleterre ait fait reconstruire entièrement cet édifice. Quelques travées de la nef paraissent avoir été construites au temps de Guillaume le conquérant, sous l'évêque Gislebert II.
La nef a été bâtie par les soins de Robert de Roie, évêque d'Evreux, sous Philippe-Auguste, qui avait ruiné l'église.
Le chœur et ses collatéraux ont été construits des deniers du roi Jean, de Charles V, des évêques et comtes d'Evreux, après les dévastations commises par les Anglais et les Navarrais sous Charles le Mauvais, roi de Navarre et comte d'Evreux.
Louis XI fit élever la lanterne et le clocher de plomb que l'on appelle clocher d'argent, sans doute parce que l'étamage lui donnait la blancheur de ce métal. On fait dater aussi du règne de ce prince, la croisée du côté du midi, la chapelle de la Vierge, la sacristie, le revestiaire ou chapier, l'emplacement de la bibliothèque, les galeries du chœur et les arcs-boutants qui sont alentour, le cloître, et les incrustations qu'on voit en dedans des collatéraux de la nef, contre les piliers et contre les pilastres à l'opposite du côté des chapelles.
L'admirable portail du septentrion et le grand portail, ainsi que la croisée du même côté et une grande partie de la grosse tour, ont été construits sous les évêques Ambroise et Gabriel Leveneur. Le reste de cette grosse tour, que l'on appelle Gros-Pierre, fut achevé en 1636, des deniers provenant d'un legs fait à la fabrique par un sieur Martin, chapelain, notaire apostolique, et greffier de l'officialité du chapitre. Dès 1608, Henri IV avait fait don de 2.000 livres à la ville pour hâter cette construction. La tour méridionale fut élevée vers le milieu du quinzième siècle.
Avant la révolution, on voyait, à la grosse tour, la statue de Henri II d'Angleterre, tenant à la main une espèce de rouleau à demi développé, pour marquer les donations que ce prince avait faites à l'évêché et au chapitre des églises et dîmes de Verneuil et de Nonencourt, ainsi que de la terre et baronnie de Brandfort en Angleterre.
Des sculptures en bois d'un beau travail décorent les différentes parties de l'église, entre autres le plafond du vestibule d'entrée, orné de caissons avec rinceaux, oiseaux et fleurs, d'une finesse et d'une pureté admirables; toutes les chapelles, les bas côtés, les deux grandes portes qui ferment le pourtour du chœur, son revêtement intérieur, ses stalles, où semblent vivre et se mouvoir des groupes de satyres et de moines, puis des crosses végétales et de grandes figures d'une exécution parfaite.
Le trésor est un chef-d'oeuvre de serrurerie. Les grilles, les verrous et les cadenas des portes sont ciselés avec une richesse extraordinaire.
Les vitraux qui datent des quatorzième, quinzième et seizième siècles, sont précieux à la fois sous le rapport de l'art que sous le rapport historique: on y remarque les portraits de plusieurs évêques, de Charles le Mauvais, roi de Navarre et de Louis XI.

Magasin pittoresque, janvier 1849.

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