lundi 1 décembre 2014

Le mauvais œil.

Le mauvais œil.


Le Dr Monprofit d'Angers a publié récemment dans l'Anjou médical un document de jurisprudence médicale absolument authentique et d'une rare saveur. Il est daté du 10 octobre 1770.
Trois chirurgiens du roi, Monescaut, Delcour et Niel, assisté de Billaud, notaire royal, furent commis pour examiner, disent-ils, "le corps du nommé Alphin, officier dans le bataillon du Languedoc, à qui l'un de nous avait fait ordonnance pour un clystère composé et qui était passé de vie à trépas sans le recevoir".
Or le maître apothicaire Blanchard contre qui plainte a été portée, a déclaré "qu'il s'étoit présenté hier vingt-sept au domicile d'Alphin, étant porteur d'une seringue en bon estat, pour réouvrir et deffermer les courants cholédoques, et qu'il avoit cherché à l'insinuer suivant les règles de l'art (tuto et jucunde) mais inutilement et avec grand empressement et fascherie; qu'il avoit cependant regardé de plus près in fundamento, et qu'ayant écarté les posters, il avoit aperçu, contre tous usages et coutumes, un œil qui le regardait en face, ce qui n'étoit jamais arrivé depuis sept vingt ans qu'il pratiquait, qu'il avait jugé que son honneur était outragé et qu'il s'était retiré du céans".
A leur tour, les experts procédèrent à l'examen du fondamentum d'Alphin. "Le poster étant ouvert, déclarent-ils, nous avons rencontré un fragment de cristal qui faisait œil et qui regardoit. Jugeant le cas neuf et extraordinaire mais exempt de maléfice, jongleries ou autre perfidie, nous avons interrogé les gens de service qui nous ont appris qu'Alphan avoit accoutumé de mettre son œil dans un verre d'eau et qu'il avait pu l'avaler dans son délire. C'est pourquoi nous avons jugé que Blanchard, maistre apothicaire, adolé et outragé, avait sagement agi en se retirant pour attendre la visite du chirurgien ordinaire du Roy, et déclarant que les torts et rébellions sont du côté du mort".
Pauvre Alphin! Aux yeux des médecins, les malades, morts ou vivants, ont toujours tort.

Les annales de la santé, août 1909.

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