jeudi 6 novembre 2014

Vélocipédie.

Vélocipédie.
La bicyclette aux colonies.


La bicyclette qui n'était qu'une mode, et qui en cette qualité n'était, aux dires de certains tristes, qu'un sport éphémère, après avoir gagné à elle les citoyens et les citoyennes des nations particulièrement civilisées, celles de la vieille Europe et celles de la jeune Amérique, a pénétré dans les colonies.
Elle a fait son apparition pour le plus grand ébahissement des bons nègros dans les terres africaines.
Les fabricants de cycles, pas tous, certains habiles spéculateurs ont d'ailleurs très habilement travaillé à cette expansion cycliste. Les vieux clous, les plus invraisemblables bicyclettes dont le moins digne des loueurs de bécane n'aurait pas voulu, sont entrés dans les pacotilles avec lesquelles on fait aux colonies de si riches affaires.
Les corps droits, les caoutchoucs creux, les bécanes aux formes les plus abracadabrantes, bécanes grinçantes et hurlantes ont été expédiées dans ces bonnes colonies d'Afrique ou d'Asie où l'Européen triomphant roule avec tant d'insouciance l'indigène natif.
Ce sont donc pour nos commerçants, pour nos braves commerçants de précieux débouchés, qui leur permet d'écouler au loin le stock restant d'une production surabondante.

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Aujourd'hui, l'exportation aux colonies a pris des proportions vraiment considérables, et je dois le dire, certaines de nos grandes fabriques ont installé ici et là des agents chargés de placer en 1898 les bicyclettes modèles des précédentes années. Les colons n'y perdent rien, car depuis tantôt trois ans la bicyclette a, au point de vue mécanique pure, atteint son degré de perfection. On modifie la forme du cadre, la longueur du guidon, et là se bornent les importants perfectionnements de la nouvelle année
Nos compatriotes-colons retardent donc, et si, par hasard vous arriviez à Saïgon, il ne faudra pas trop vous étonner de voir un gentleman parader fier et convaincu sur une bicyclette dont le modèle ne paraît guère plus aujourd'hui, à Paris, qu'aux ventes aux enchères du Tattersall.


Et pourtant, la Cochinchine est une colonie très vélicopédique, très dans le mouvement. C'est d'un bon signe. En effet, si le tourisme et le sport cyclistes ont pu prendre là-bas une telle extension, c'est que notre administration, pour une fois, a su doter la colonie de bonnes routes, et lui donner la sécurité.

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Saïgon est particulièrement le centre de la vélicopédie en Cochinchine. Depuis quelques mois, Saïgon possède en effet une piste en cendrée, à virages relevés.


L'inauguration officielle de ce vélodrome a été faite le 11 décembre dernier, et Sa Majesté, le roi du Cambodge, Norodom 1er, et Thaut Taï, empereur d'Annam assistaient graves, dignes, imposants, entourés de leurs cours, à cette solennité sportive.
La fête a été superbe. Je le crois bien volontiers. Et n'avons-nous pas le droit d'envier nos bons colons qui peuvent s'offrir pour leurs réunions vélodromesques des Majestés, alors que nous avons tant de peine à Paris de faire venir au Grand Prix de Paris donné sur la piste municipale de Vincennes, la silhouette d'un ministre très éphémère ou la personnalité plus stable du président de la République.
A Saïgon, un Roi et un Empereur! Eh! bien mes colons, vous ne vous refusez rien.

                                                                                                         Frantz Reichel.

Le sport universel illustré, 18 janvier 1898.

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