mercredi 5 novembre 2014

Les mariages d'outre-mer.

Les mariages d'outre-mer.


Avant leur départ pour le voyage à deux à travers la vie, les Français jouent une délicieuse comédie qui se nomme le "temps des fiançailles". Heures frivoles pendant lesquelles jeunes gens  et jeunes filles se dépensent en mots très aimables et en mille petits soins ingénus pour masquer la figure vraie de leur caractère. Ils ressemblent à un couple d'émigrants qui, sur le point de prendre le paquebot, , ne songerait pas à réunir, à passer en revue ses bagages, pour ne s'entretenir que de ses chances futures en nouveau monde.
Les Anglais et les Américains se montrent un peu plus pratiques. Tout en conjuguant le verbe "aimer", ils observent avec attention le compagnon de route qu'ils ont choisi. Dans le manège même de leur"cour" se révèlent leur principe d'ordre et d'activité.
C'est ainsi qu'à Liverpool les amoureux sont soumis à un règlement, tacitement reconnu de part et d'autre. Celui des deux fiancés qui arrive en retard à un rendez-vous doit verser une amende de 1,25 fr. au profit d'un asile de fous de la ville. Les aliénés protégés par les amoureux, quelle charmante ironie!
Durant l'apprentissage qu'ils font de leur caractère respectif, les jeunes gens ne se contentent pas d'étudier leur partenaire, ils s'efforcent déjà d'élaguer en lui tout ce qui leur déplaît. Offrons un exemple aux petites Parisiennes les stratagèmes employés par une jeune Londonienne pour tenter l'amélioration de son "promis".
Il était (selon la commune et énergique expression) pétri de défauts. Elle l'aimait quand même ou à cause de cela.
Aux présents qu'elle recevait de lui, elle répondit par des cadeaux significatifs (comme il est permis en Angleterre).
Monsieur n'arrivait jamais à l'heure dite à l'endroit fixé pour leur rendez-vous. La jeune miss lui offrait un superbe chronomètre orné de sa frimousse en miniature. Il ne manqua pas, par la suite, de contempler fréquemment le visage qui lui était cher, et aussi... de surveiller la marche des aiguilles de sa montre.
C'était un bourreau d'argent, dispersant toute la monnaie qu'il avait dans son gousset. On lui conseilla de ne porter qu'une mignonne petite bourse brodée, montée à son intention et incapable de contenir une forte somme.
Un peu violent, prompt à se révolter contre les ennuis de l'existence, il reçut un matin un exemplaire richement relié du livre du docteur Robinson: "L'apoplexie  causée par la colère et les mouvements violents." Et il dut répondre aux questions que lui posa sa fiancée sur la valeur de cette oeuvre réfrigérante.
Comme il s'étonnait, en riant, de la fréquence des cadeaux symboliques qu'il recevait, la petite Anglaise avoua:
- Les femmes ne détestent pas se confier à un fauve, mais encore faut-il qu'il soit quelque peu dompté et soumis. Elle ne veulent pas être croquées tout de suite.

Trop sérieux.

Il convient pourtant d'observer qu'Anglais et Américains dépassent souvent la mesure dans leur souci de rigorisme et de correction.
Témoin ce grand industriel de Boston qui a tenté vainement, une demi-douzaine de fois, de prendre femme dans son monde.
Notre homme fait sa cour de façon plutôt singulière. Il entre tous les quinze jours, dans la maison de la jeune fille qu'il déclare être "sa fiancée". Il prend place, parle de sa santé, de ses affaires... s'en va. Après quatre visites il trouve porte close et remonte dans sa voiture en se demandant, avec anxiété, quel crime il a bien pu commettre.
Parfois, ces amoureux trop sérieux finissent par rencontrer la compagne de leur rêve.
Un étudiant avait publié dans les journaux de Chicago l'annonce suivante:
Jeune Américain désire rencontrer jeune Allemande ne sachant pas l'anglais, pour éviter perte de temps durant la période des fiançailles et pour apprendre aussi la langue de Gœthe.
Vingt-quatre heures après, il était fiancé à une jeune Berlinoise. Sans comprendre leur langage respectif les deux jeunes gens s'entendirent fort bien. Et ils enseignent aujourd'hui: l'Allemande un anglais très pur; l'Américain, un allemand tout à fait grammatical et savant.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 19 juillet 1903.

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